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Une lecture critique de Guy Burgel, Paris meurt-il ?

Par Thierry (TB), le 04/03/2008 à 08:38


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Voilà un ouvrage qui tombe à pic. Paris meurt-il, publié opportunément à la veille des élections municipales, est une contribution utile aux débats en cours sur l'avenir de Paris et de sa région. Le géographe Guy Burgel, professeur à Paris X, déjà auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, propose une analyse éclairée et engagée qui procède en trois temps : un constat, un principe d'action, une proposition originale.

Le constat : Paris est une métropole mondiale

« Paris et le désert français » ? L'analyse de Jean-François Gravier en 1947 n'est plus d'actualité, à supposer qu'elle l'ait jamais été. Guy Burgel rejoint les analyses de Laurent Davezies (La République et ses territoires, Seuil, 2008 ; voir son article Paris s'endort... sur laviedesidees.fr) : Paris n'est pas un handicap pour les autres territoires. Bien au contraire, les mécanismes de péréquation comme la mobilité des travailleurs ont pour conséquence que les flux vont de Paris vers la province et non l'inverse. Combien de gens viennent gagner leur argent en Seine-Saint-Denis mais résident, consomment et paient leurs impôts locaux dans d'autres départements ?

Ainsi, « la contribution de l'Ile-de-France au produit intérieur brut français s'accroît, passant de 27,2% à 28,8% de 1980 à 2000, tandis que la part des revenus des ménages franciliens diminue de 23,3% à 22,6%. » D'où cette conclusion forte : « cela signifie que la capitale s'enrichit, et enrichit, et que ses habitants en moyenne s'appauvrissent. »

Or la politique d'aménagement du territoire menée depuis des décennies a affaibli Paris. La DATAR a voulu contrebalancer l'importance jugée exagérée de la capitale par la réalisation de « villes nouvelles » en banlieue et surtout de « métropoles d'équilibres » en province. Puis la décentralisation a figé la situation en confortant le pouvoir des élus locaux.

Ainsi on a mis l'accent sur une politique en faveur des territoires quand il fallait affronter les désordres de la société. On pourrait comparer avec profit l'approche de Guy Burgel avec celle de Jacques Donzelot (Faire société, Seuil, 2003) qui souligne que la politique des banlieues, en France, s'est presque toujours concentrée sur la définition de « zones  » spéciales (ZEP, ZSU, ZFU...) alors que, dans un pays comme les Etats-Unis, les actions sont plutôt portées sur les personnes elles-mêmes afin de les aider à prendre en charge leur avenir et celui de leur quartier.

Aujourd'hui Paris intra muros concentre les inégalités : les classes moyennes étant exclues par l'augmentation du coût de logement, seuls restent les cadres supérieurs, qui y bénéficient des meilleures infrastructures de transport, et les plus pauvres qui vivent à l'est de Paris dans des conditions indignes. La politique de diminution de la densité n'est pas pour rien dans la fuite de catégories de population modestes ou moyennes : avec leur rejet loin du centre de la métropole et à l'écart des infrastructures de transport, c'est leur faculté d'accès au marché du travail qui est amoindrie.

Face à ces risques, la première nécessité est désormais celle du développement économique et de l'inscription dans la compétition internationale. Seul ce développement peut permettre la redistribution. La recherche exclusive de la « qualité de la vie », qui passerait par les circulations douces et les espaces verts, passe à côté des vrais impératifs de l'action publique.

Le principe d'action : centralité, mobilité, exemplarité

La centralité de Paris au sein de son agglomération, de l'agglomération parisienne au sein de la France, est nécessaire à l'excellence économique. Le développement d'infrastructures de transport performantes doit la rendre possible. Cette centralité est indissociable de la mobilité qui doit permettre à chacun d'accéder à un emploi là où il se trouve dans l'espace de l'agglomération.

En effet, l'une des principales idées de l'ouvrage est qu'il ne faut pas agir sur une illusoire répartition uniformisée des activités économiques sur l'espace francilien, mais sur l'amélioration de la possibilité pour chacun de se déplacer et donc de profiter des possibilités d'emploi. En une phrase : « ce n'est pas l'espace qu'il faut traiter par la fixation de l'entreprise et de l'habitat, mais la mobilité qu'il faut améliorer ».

Ainsi, la mixité habitat-emploi que l'on évoque si souvent peut certes être un objectif dans la mesure où elle améliore l'intégration du tissu urbain ; elle ne doit pas pour autant être privilégiée comme mode de la réduction des temps de trajet entre le domicile et le travail. Les conditions de vie et les nécessités de l'économie parisienne ne permettent pas d'envisager un modèle dans lequel tout le monde vivrait à côté de son lieu de travail.

La mobilité : c'est le concept en vogue. Il est décliné à tous les niveaux de l'économie et de la société dans le rapport Attali. Pour Guy Burgel, la mobilité à Paris permet de combiner un développement social harmonieux, au bénéfice des plus faibles, avec une recherche de l'efficacité économique. Il insiste sur la nécessité d'une politique de transports volontariste reposant sur des infrastructures ferrées, seules pourvues de la capacité nécessaire pour répondre aux besoins de déplacement : à l'opposé des projets d'« arcs » non reliés les uns aux autres ou des projets de tram sous-dimensionnés, il prend position en faveur d'un projet de type Métrophérique, permettant une rocade de métro complète dans la petite couronne.

Guy Burgel remet en cause également l'opposition trop systématique à l'automobile dans Paris. Ce rejet serait la marque d'un égoïsme à l'égard des banlieusards, que l'on maintient à distance de Paris. L'auteur a des mots assez durs envers la politique menée ou soutenue par les Verts qu'il accuse d'être anti-sociale. Il soutient Rémy Prud'homme, auteur d'une étude qui soulignait l'effet néfaste sur les conditions de circulation mais aussi sur l'environnement de la politique de réduction (et surtout de ralentissement) de la circulation automobile menée à Paris.

Paris doit ainsi redevenir « le laboratoire de la France ». Burgel rappelle que Paris a montré la voie dans les principales évolutions de l'économie et de la société françaises : tertiarisation de l'économie, adoption des technologies et leur diffusion dans un large corps social, féminisation de tous les secteurs de l'économie.

La proposition originale : les territoires institutionnels de projets

Il n'est plus possible, pour l'auteur, de gouverner Paris selon le mode actuel, qui juxtapose 500 municipalités différentes dans l'agglomération continue et empile les structures institutionnelles (commune, intercommunalité, département, région, Etat). Il rappelle les enjeux de la réalisation du Grand Paris sous la forme d'une structure institutionnelle nouvelle qui engloberait autour de la ville de Paris une partie plus ou moins importante de la banlieue. Or, note-t-il, ce Grand Paris se heurte au « scepticisme indifférent de l'opinion » ainsi qu'à la « pression des intérêts économiques immédiats ».

La question institutionnelle devrait donc être seconde par rapport au projet. Du projet devrait découler la définition du territoire le plus pertinent pour l'action envisagée ; ensuite seulement serait créée une institution pour porter le projet. Dans les démarches actuelles, au contraire, c'est chaque structure qui, une fois instituée sur un territoire donné, définit un projet qui entre plus ou moins bien dans le cadre qu'on lui impose.

Guy Burgel propose ainsi depuis quelques années un « territoire institutionnel de projet », espace de programmation urbaine dans lequel les maires, pourvus de la légitimité démocratique, conserveraient le pouvoir de décision, avec une participation possible de la société civile. Toutefois, chaque municipalité aurait un poids variable selon la représentativité de sa population au sein du territoire envisagé. Il s'agit d'éviter les limites d'une structure telle que la Conférence métropolitaine, qui réunit depuis 2006 les exécutifs de plusieurs dizaines de communes autour de Paris. Basée sur le principe « un maire, une voix », elle ne peut être vraiment opérationnelle, surtout à l'échelle de l'agglomération qui est souvent le niveau pertinent de l'action.

On regrettera que l'auteur n'apporte guère de précision sur les mécanismes concrets de constitution et de fonctionnement d'un tel « territoire institutionnel de projet » : comment une structure définie avec aussi peu de précision pourrait-elle regrouper la totalité des municipalités concernées et les mener à coopérer sur le long terme dans les politiques ambitieuses que l'auteur leur assigne ? La fin de l'ouvrage peut donc décevoir un peu, mais ne saurait remettre en cause le grand intérêt de cet essai, excellente synthèse et plaidoyer vibrant en faveur d'un Paris ambitieux et généreux.

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Guy Burgel, Paris meurt-il ? : février 2008, Librairie Académique Perrin, 183 pages (ISBN 2262027865)

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