Nantes, 2004-2014 : la forme d'une île

1 - L'Île de Nantes
S'il est un projet qui marque l'évolution urbaine de Nantes ces dix dernières années, c'est bien celui de l'île de Nantes (et les PSSiens en ont bien profité !).

Les sources d'une île (genèse du projet)
Ce n'est pas le chantier d'une décennie, mais d'un demi-siècle (au moins !). Il commence par une bataille sémantique pour imposer un toponyme unitaire, là où les Nantais continuaient de désigner l'île Sainte-Anne (anciennement urbanisée, à l'ouest) ou l'île Beaulieu (nouvellement urbanisée, à l'est), bien que l'ancien archipel ne forme plus qu'une seule entité depuis le comblement des boires et canaux dans la première moitié du XXème siècle (lire à ce sujet l'article paru dans Place Publique #04 sur l'évolution morphologique et urbaine de l'île : Une île en six tableaux). Et il s'agissait en effet de donner corps à ce morceau de ville à partir d'éléments composites aussi différents qu'un faubourg du XIXème siècle, les friches d'anciens chantiers navals, une ZUP dotée d'un "centre directionnel" reflet de la conception de la ville moderne dans les années 60-70, ou encore un palais de la région et son quartier aux accents post-modernes (années 80-90). Pour corser l'affaire, l'île était sectionnée par deux voies de transit (les "lignes de ponts") qui figeaient dans l'esprit des Nantais le rôle dévolu à cette île : un simple lieu de passage entre le nord et le sud de la Loire.

Ce projet urbain tire ses racines de la fermeture des Chantiers navals Dubigeon, en 1987, trauma qui secoue la ville. L'équipe municipale en place veut aller vite et projette en lieu et place de la friche la construction d'une (peu inspirée) "Cité internationale des affaires". Les élections de 1989 auront raison de cette vision. S'en suit une décennie de deuil, de réflexion et de mûrissement d'un projet plus global, à partir d'une première étude menée entre 1991 et 1994 par François Grether et Dominique Perrault. Au terme d'une consultation, l'urbaniste Alexandre Chemetoff est choisi en 1999 pour conduire le projet urbain de l'île de Nantes.

La mutation en acte
Si des réalisations entamées durant les années 90 comme le Palais de Justice (Jean Nouvel, livraison en 2000), l'ancienne Gare de l'Etat reconvertie en Maison des syndicats (Forma 6, livraison en 2001), ou la passerelle Victor Schoelcher (Barto + Barto, livraison en 2001) marquent symboliquement le début du renouvellement urbain de l'île, il faudra attendre 2006 pour voir les livraisons de projets s’enchaîner à un rythme soutenu. Parmi les plus marquants, par leur forme, leur envergure, ou leur caractère pionnier on pourra citer :

2005 : Le Rhuys (premier programme à prendre place quai François Mitterrand après le Palais de Justice, et pôle médias accueillant Ouest-France et plusieurs radios locales) ;


le renard Le Rhuys

2006 : Arboréa (premier jalon de l'ère Chemetoff dans le secteur Beaulieu, cette résidence rompt également avec deux décennies de programmes bas, les nouvelles constructions de l'île ne dépassant pas le R+5 depuis le début des années 80) ;


le renard Arboréa

2007 : les Nefs Dubigeon, de La Trocante aux Machines de l'île (reconversion du site des anciens chantiers navals Dubigeon en espace récréatif, son succès populaire en fait désormais un des lieux incontournables du centre de Nantes, et le vecteur de l'appropriation par les Nantais de ce nouveau quartier) ; le Hangar à bananes, ouvert au public la même année, s'inscrit dans une logique similaire ; Insula Alstom (rénovation des bureaux d'Alstom, le projet marque aussi l'intérêt du secteur privé pour le projet urbain puisque Alstom envisageait initialement de quitter l'île pour la périphérie nantaise, cet intérêt sera particulièrement palpable sur le quartier de la Création) ;


le renard L'usine Beghin Say, autre symbole industriel de l'île, et les reflets d'Insula Alstom

2008 : Rénovation et extension du centre commercial Beaulieu (Patrick Bouchain a su donner à ce lieu plus central que périphérique malgré sa conception, la singularité qui lui faisait défaut) ;

2009 : Le Parc des Chantiers est emblématique de la méthode mise en oeuvre par Chemetoff pour renouveler l'espace public tout en conservant des traces de son histoire ; Manny et sa peau de mammouth laineux ; la Maison de l'Avocat, ancienne ancienne halle Alstom réhabilitée, tout en contraste avec le Palais de Justice voisin ; l'école d'architecture, objet manifeste et terrasse panoramique publique ;


© java99 Manny et sa peau de mammouth laineux

Nantes Tetrarc building by corno.fulgur75, on Flickr / Manny toujours


le renard la Maison de l'avocat 2007 > 2014


le renard l'école d'architecture lors de la biennale Estuaire en 2012

2010 : La Perle Noire (premier immeuble de l'îlot dit "de la gendarmerie" -sa destination initiale- il signe la rupture avec l'urbanisme néo-vernaculaire de l'est de l'île à l'oeuvre depuis les années 80) ; Pont Léopold-Sédar-Senghor ;

2011 : la Fabrique (deux objets culturels à l'identité affirmée, l'un prend appui sur un blockhaus rescapé de la Deuxième Guerre mondiale, l'autre s'adosse aux Nefs restaurées) ; l'Île Rouge, Eurêka et Ehundura rejoignent Manny, confortant la rue La Noue Bras de Fer dans son statut de vitrine du quartier de la Création (cluster dédié aux industries culturelles et créatives) ; Pont Éric-Tabarly ;


le renard Trampolino, ou la mutation d'un blockhaus 2007 > 2014


le renard la Fabrique : Trampolino et Stereolux


le renard Stereolux

L'île rouge (quartier de la création, Nantes) by dalbera, on Flickr / l'Île Rouge vêtue d'acier Corten


© Drey Eurêka et Ehundura


© frozhalf le pont Éric-Tabarly devant l'îlot de la gendarmerie en construction


le renard avant/après 2007-2014

2012 : Yleo, premier macro-lot de l'île, il est édifié sur le terrain du Tripode (IGH emblématique de l'urbanisation de Beaulieu dans les années 60-70, mais amianté et démoli par implosion en 2005) ; le groupe scolaire Aimé Césaire, pierre angulaire du nouveau quartier de la Prairie au Duc ; le Carrousel des Mondes Marins, nouveau landmark (27 mètres de haut) du Parc des Chantiers ;


© Drey Yleo

Le Carrousel des Mondes Marins by christophe.laigle, on Flickr

2013 : le Bâtiment B, tout en bois, conçu pour promouvoir les savoir-faire de la filière bois (un blog relate sa construction) ;

2014 : Quadr'Île à Mangin, et L'Oiseau des Îles à la Prairie au Duc, à l'instar du Ruban (2012) dans le secteur Beaulieu, dessinent une silhouette singulière qui se détache signalant le bâtiment dans le paysage ; le lycée international Nelson Mandela.


© yellowsky Quadr'Île

A venir, quelques réalisations attendues : la réhabilitation des halles Alstom (Franklin Azzi), les îlots Brossette (LAN, architecte coordinateur), et Citroën (Leibar & Seigneurin, Raum), les programmes Origami, îlink, Icones, ou Médiacampus, la Maison de l'Habitat aux façades recouvertes de chaume...


le renard quai François Mitterrand 2005 > 2014


le renard quai François Mitterrand 2005 > 2014


le renard rue Alain Barbe-Torte 2007 > 2014 : rénovations et surélévations


le renard la même rue vue sous un autre angle

A plus long terme le départ du MIN et de RFF (emprises ferroviaires de l'ancienne gare de l'État) laissera place au sud-ouest de l'île à une nouvelle phase importante du projet urbain, qui comprendra notamment un parc "métropolitain" (un poumon vert de 14ha), des prolongements de voies stratégiques pour le plan de circulation, et la relocalisation du CHU. La question se pose aussi du développement des transports en commun, avec le projet d'une ligne de tramway desservant l'île d'est en ouest, et la proposition de ressusciter le pont transbordeur (vision qui vient hanter régulièrement le débat sur un nouveau franchissement de la Loire à l'ouest du pont Anne-de-Bretagne).

Des réussites mais aussi quelques couacs
En 2009, un désaccord sur la méthode (cristallisé entre autres par la question du transfert du CHU) entraîne la rupture de la mission de maîtrise d'oeuvre de Chemetoff. Une Tour végétale, imaginée par l'architecte Edouard François et le botaniste Claude Figureau, fait les frais en 2011 du passage de témoin entre l'équipe Chemetoff et l'équipe Smets-uapS. Fin 2014, on apprend l'abandon du projet confié à l'architecte de renom Farshid Moussavi (et l'agence nantaise Raum comme partenaire) pour l'îlot Citroën. D'aucuns regrettent aussi que la darse représentée sur les plans-guides de Chemetoff ait laissé place à un plus modeste et classique projet de parc.

Dernière modification par le renard (02-02-2015 20:03:01)

3 - De nouveaux quartiers

Malakoff - Pré Gauchet
Dans l'ombre de l'île de Nantes, un autre projet urbain mitoyen du centre historique a démarré ces dernières années. Il s'agit du GPV (Grand Projet de Ville) Malakoff Pré-Gauchet, dont la maîtrise d'oeuvre a été confiée à l'Atelier Ruelle.

L'objectif est double : mener le renouvellement urbain de la ZUS Malakoff, quartier proche du centre-ville et bordant la Loire, mais enclavé et paupérisé ; développer une offre tertiaire à proximité de la gare, sur le lieu-dit du Pré Gauchet, dans le cadre d'Euronantes. Mais la métamorphose commence à deux pas, sur le site du stade Marcel-Saupin, autrefois celui du FC Nantes : plutôt que de le raser il est décidé de conserver et rénover le stade et une des tribunes, il sont bientôt rejoints par l'Institut d'Etudes Avancées (IEA) et un immeuble tertiaire. L'IEA comporte une tour de 50 mètres en guise de signal, il ne s'en était pas construit à Nantes depuis plus d'un quart de siècle.


le renard rénovation partielle du stade Marcel-Saupin


le renard l'IEA et l'immeuble tertiaire Espace Saupin en construction

Peut-être le choix d'une émergence pour faire signe a-t-il déteint sur le projet urbain du Pré Gauchet ? De même qu'une tour n'était pas prévue au programme à Saupin (FGP a su convaincre le jury de la pertinence d'une telle option), le plan de masse du futur quartier a évolué au fil du temps. Si les premières ébauches envisageaient un sage prolongement de la ville, extension aux gabarits similaires au faubourg voisin ("à taille humaine"), il est apparu par la suite que la suture urbaine entre le centre-ville et la ZUS passerait aussi par le paysage : ainsi l'épannelage dessine-t-il désormais une progression dans la hauteur des bâtiments, d'immeubles de quelques étages se fondant dans le tissu urbain traditionnel, à des tours de cinquante mètres de même hauteur que celles de Malakoff.


le renard mail Pablo Picasso 2007 > 2014


le renard mail Pablo Picasso 2007 > 2014 : les espaces publics ont précédé les constructions


le renard mail Pablo Picasso 2007 > 2014

Depuis la gare de Nantes, l'isolement du quartier Malakoff est rompu, les nouvelles constructions de Pré Gauchet se confondant visuellement avec les tours HLM, dont la rénovation par différents maîtres d'oeuvre s'est accompagnée d'un traitement distinct. Au sein du quartier populaire, le renouvellement urbain passe aussi par la création d'un centre (administratif, commercial) autour d'une transversale nord-sud, le boulevard de Berlin, qui relie Pré Gauchet (à terme la gare, dont la refonte est en projet) à l'île de Nantes en passant par Malakoff et un nouveau pont enjambant la Loire : opérer une couture urbaine en se jouant des derniers obstacles que forment les voies ferrées. Le mât du pont à haubans, de même hauteur que les tours (anciennes et nouvelles), vient compléter la skyline désormais assumée.


le renard chemin du Pont-de-l'Arche en 2007, longtemps une des seules voies d'accès au centre-ville pour les habitants de Malakoff...


le renard ... avec l'ouverture du boulevard de Berlin cette voie (au premier plan) est désormais réservée aux circulations douces


le renard le boulevard de Berlin en direction de Malakoff 2007 > 2014 : un désenclavement


le renard Malakoff 2007 > 2014 : la ZUS rénovée

Les autres opérations d'aménagement
Elles concernent la création de nouveaux quartiers sur les derniers espaces non construits de la commune : Bottière-Chênaie (sur d'anciens terrains maraîchers) et Erdre-Porterie (prolongeant un secteur urbanisé dans les années 80-90). On retiendra aussi le renouvellement urbain de la ZUS des Dervallières, l'opération Joliot-Curie / Clos-Toreau (profitant de la requalification d'une ancienne autoroute urbaine), et enfin la mue tout juste entamée du Bas-Chantenay, autre quartier emblématique de l'histoire portuaire et industrielle de la ville.

Intra-muros, la rénovation du Sillon de Bretagne, à Saint-Herblain, a également marqué la décennie. Elle s'accompagne de la création du quartier de Bagatelle. Autre projet d'ampleur, la ZAC des Isles, à Rezé et face à l'île de Nantes, a pris du retard mais est désormais intégrée dans une opération plus vaste, de Trentemoult au confluent de la Sèvre et de la Loire.


© Kolini le Sillon de Bretagne rénové

Super résumé !

Je retiens principalement 2 choses pour Nantes au service de son rayonnement économique et touristique :

-le renouveau de l'île de Nantes avec de nombreux bureaux, une offre de loisirs (hangar à bananes) et des sites culturels/artistique (les machines, stereolux)
-le renouveau du centre historique, de la place Graslin à la place Royale en passant par les hotels, les musées/événements, les parcs, le château des Ducs et le passage pommeraye. Nantes est devenue une vraie belle ville touristique à visiter.

Dernière modification par Floch PC 11 (02-02-2015 20:22:26)