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Dans un forum concurrent mais néanmoins ami, skyscrapercity pour ne pas le nommer ( ), nous nous posions la question de savoir si l'image de la modernité d'une ville pouvait à elle seule être contenue dans une icône, et s'il était possible que Londres et Paris soient pour la première à la recherche d'une icône contemporaine, et pour l'autre à la recherche au contraire de la mise en valeur de l'existant comme élément particulier de sa contemporanéité. Ce sujet est né inopinément d'une image postée d'un forumer Anglais montrant Londres en 2020. Nous nous sommes demandé pourquoi Londres pouvait se situer dans le fantasme du futur pour vendre son image, alors que Paris intramuros semble entamer la démarche inverse en se situant dans un fantasme patrimonial. Dans ce thread, il n'était nullement question d'un Paris vs Londres, et les intervenants se situaient dans l'optique de la représentation de la ville.
J'aimerais bien poursuivre la discussion ici, non pour concurrencer l'autre forum mais pour permettre de connaître votre point de vue à vous aussi, sachant que le problème de la représentation de la ville (de 'l'urbanité', comme on dit) me préoccupe beaucoup et me passionne.
Voici ce que je disais :
Je ne pense pas que Londres soit dans une recherche d'identité, mais dans une recherche de contemporanéité. Alors que Paris, pour mettre ces deux villes dos-à-dos, n'est pas dans un refus de la contemporanéité, mais dans la recherche d'une particularité contemporaine.
Tandis que Londres ne réfute pas son image de ville-puzzle qui noit une image autre que traditionnelle nette - et Swiss Re semble incarner cette idée de patchwork en ne ressemblant à rien d'autre qu'à elle-même et en se faisant emblème d'une contemporanéité patchwork - Paris reste tenaillée dans l'image d'une tour Eiffel emblème d'une splendeur passée.
Bref, la problématique est : comment d'une part dépasser le patchwork en en faisant une identité forte par un emblème qui rassemble du discontinu sans le figer d'un côté, et de l'autre comment dépasser un emblème unificateur (la tour Eiffel) tout en ne reniant pas son héritage ?
Quand le Maire de Paris réclame des 'totems', il réclame un emblème ponctuel, un témoin d'un temps qui garde son héritage, qui lui fasse écho, mais qui aussi projette Paris dans la contemporanéité. Cette manière de voir la Ville bride la créativité à mon sens. Qui aura le courage de créer un point d'appui à toute un mythologie du temps, comme Eiffel l'a fait, sans rupture, en continuité, mais en assumant ce temps ?
Prends Swiss Re à présent. Elle ne ressemble à rien, mais elle symbolise une époque de Londres. Une rupture avec la tradition certes, mais aussi un objet à intégrer dans cette tradition. Comment un objet étranger à une tradition peut-il catalyser tous les fantasmes d'une Ville ? Swiss Re réussit le tour de force d'être une rupture avec la tradition, mais une continuité avec le patchwork qui lui est traditionnel.
Dans cette optique, Londres ou Paris cherchent le temps contemporain, mais de deux manières : la première se forge une image de rupture/tradition, ce qui est un beau tour de force mais qui prend le risque de céder aux modes - et c'est une possibilité qu'on ne pourra juger que dans 20 ans - et donc de dénaturer son image. La seconde, Paris, se forge une image de comtemporanéité particulière, héritière du passé, et sans rupture, une courbe lisse qui peut l'empêcher d'aller jusqu'au totem.
Ce qui m'ennuie, c'est que la banlieue parisienne ne correspond pas du point de vue mythique, dans cette recherche de la contemporanéité, à Paris-centre. Même la Défense est à l'extérieur. Et je ne pense pas que ma petite analyse fonctionne pour l'IDF. Elle est tronquée. La banlieue a une image dégueulasse qui correspond à un paysage fantasmatique chaotique. Les tours - si on vire les numbies de mauvaise foi de l'équation - sont partie intégrante de la quotidienneté. On est là encore dans une logique de patchwork, mais on remarquera qu'outre une recherche d'identité institutionnelle, il n'y a ni recherche de particularisme contemporain, ni recherche de contemporanéité dans le respect d'une image traditionnelle : la banlieue s'adapte à des fonctions, point. Le mythe vient après.
La banlieue souffre-t-elle de la recherche d'image parisienne dans son dynamisme, empiète-t-elle sur une sorte de symbole 'sacré' ? Londres ne se pose pas la question, Swiss Re en est la preuve.
Le conformisme en la matière, ne me paraît pas de mise sauf si on considèrait que le temps d'une ville est calculable à partir de la dernière révolution industrielle ou économique. Si on avait la possibilité de créer une ville ex nihilo, je pense qu'on la concevrait comme devant se plier aux fonctions du moment, comme devant se plier au réel (économique, ou du moins pragmatique). Or, pour des villes comme Londres ou Paris, on part de strates historiques et d'espaces clairement déterminés. Céder au conformisme d'un temps, c'est se plier non seulement à une esthétique minimale que tout le monde adopte, à une norme, mais aussi à une structure urbaine minimale, et celle-ci me paraît de l'ordre des représentations et du fantasme également (on y revient )
Dans les quêtes identitaires respectives de Paris et Londres, il y a des lieux communs aux deux, mais une épaisseur culturelle telle, derrière, qu'il ne peut y avoir de concordance d'image. Quant aux villes qui veulent leur Guggenheim de la mort qui tue, j'ai l'impression qu'elles louchent plus sur les retombées d'image de Bilbao que sur sa culture ou son histoire. C'est juste une mode, donc, et aussi, par là même, une erreur d'idéologie ou d'urbanisme que de prétendre que Guggenheim est adaptable et intégrable à toute ville. Bien au contraire... Comme si tu voulais mettre la tour Eiffel à la place de Swiss Re et inversement : cela ne touche pas seulement à l'image - d'ailleurs, l'idée choque - mais à la culture, et même à la strate profonde de l'imaginaire propre à chacune des deux cultures.
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Je ne pense pas que la TE soit capable de se substituer à l'image de Paris. Elle est un emblème, pas un constituant. Vire Big Ben de Londres, et Londres résiste. Je crois qu'il est très difficile de définir très précisément l'image de la tour Eiffel : si tu la prends comme objet, très peu savent ce qu'elle est, d'où elle vient et ce qu'elle symbolisait - même auprès des parisiens en 2006. La tour Eiffel a été copiée un peu partout, au Texas, à Tokyo, il y en a en projet, et pourtant nul clone n'aura le même sens que l'original ; symbolise-t-elle Paris, une ère industrielle, une forme inédite imédiatement reconnaissable - ce en quoi c'est une icône ni plus ni moins - est-elle un totem polarisant un inconscient collectif vis-à-vis d'une image minimale de la culture française ? A-t-elle la même fonction iconique que Swiss Re, que feu les WTC de NYC, que la Tamise ou que la Seine ? Pas si sûr. C'est complexe, cette histoire-là...
La TE polarise surtout le regard culturel de celui qui la contemple... On est là de plain-pied dans un horizon de représentations. On y pressent sans doute des représentations de la fancité, un peu comme la pub des pâtes Panzani décrite par Barthes dans 'Mythologies' qui représentent une image minimale de l'italianité. Je ne pense pas que Swiss Re ait encore acquis cette dimension iconique, juste sans doute celui de code immédiatement identifiable. (google, entrée Swiss Re Tower : 5 930 000 entrées, Tour Eiffel/Eiffel Tower : 18 540 000). Je ne pense pas que Swiss Re ait encore acculturé tous les sens de l'appréhension minimale que l'on peut avoir de l'anglicité d'où qu'on vienne.
Je pense que les WTC avaient acquis la même fonction de pivot symbolique que la TE, en représentant New York à leur simple évocation, comme les Pyramides représentent l'Egypte. Ce degré zéro de la représentation est d'une grande complexité à appréhender, car dans le domaine des mythes, les traits distinctifs sont basiques et flous. Il faudrait une grosse enquête pour savoir ce qu'est la signification minimale de la francité dans l'inconscient collectif global, et voir en quelle position arrive la Tour Effeil dans les mots cités. Je pense qu'un peu à la façon du Mont Saint Michel, elle dépasserait amplement les frontières de Paris. Pas Swiss Re.
La discussion reste ouverte. Pour vous, qu'est-ce qui caractérise l'image d'une ville, pas dans ses considérations économiques, mais dans ses symboles ?
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Pour une ville, le terme de symbole me gêne, c'est trop réducteur ; et puis c'est soit la carte postale, soit la démarche institutionnelle, dont le volontarisme est le plus souvent contre-productif. En revanche l'image, c'est ce qui est vu ou perçu, on peut agir dessus en travaillant sur le concret et non sur la représentation. C'est à la fois subjectif et réel. Les images sont personnelles et multiples. C'est à la fois complexe et intime. Donc la représentation d'une ville ne se maîtrise pas, surtout pour des capitales que tout le monde connait. Elle échappe forçément à l'appréhension, et c'est tant mieux.
J'ai vécu 10 ans à Paris, mais tu ne connais pas ma géographie personnelle de cette ville. Un touriste en a aussi une vision personnelle même en trois jours ou moins. Quelqu'un qui n'y est jamais venu en a vu des images, par la télévision et le cinéma, ou une représentation mentale par des romans ou des récits. Pareil pour moi pour des villes que je ne verrai jamais en vrai.
Il est vrai que plus on est loin et plus les symboles comptent. Mais qu'y a t-il derrière un symbole comme la Tour Eiffel ? justement des imaginaires multiples bien loin du monument lui-même. C'est un monument sans fonction identifiable, gratuit en somme, qui permet de dominer la ville, parfait support donc pour cet imaginaire et cette appropriation personnelle.
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Pour revenir à la TE, elle fut construite avant tout pour les besoins d'une démonstration qui de plus devaît être éphémère. C'etait avant tout un objet de foire, propriété d'un industriel qui voulait prouver que ses ateliers pouvaient construire l'inimaginable. D'objet de démonstration, elle est devenue symbole parce la population la adopter comme tel, et d'ailleurs à mon sens c'est une exception. A l'opposé, d'autres monuments, comme l'arc de triomphe, ont été conçu pour être un symbole dès l'origine.
Un monument peut être construit n'importe où, au milieu d'un désert, mais à ce moment il n'aura jamais de valeur de symbole pour une ville mais pour un pays tout entier. Les Pyramides, le Tahj Mahal, le Mont Saint Michel en sont des exemples.
...Caen Capitale
Beaucoup de sujets sont ici évoqués. Je partage tout sauf... les questions de la banlieue, de l'image de la banlieue, de la représentation et du symbole. Je pense qu'il y a ici matière à un sujet précis et particulier. La crise des banlieues est en partie (c'est un avis personnel) du à un problème de repères et probablement à un déficit de symbolique. Par la symbolique une identité peut transparaitre, or la banlieue souffre de son impersonalité. Tout ceci en parenthèse.
J'avais soulevé plusieurs questions. Mynight les as plus ou moins reprises toutes. Je partage la subtilité concernant Paris qui recherche un élément contemporain, alors que Londres semble à l'inverse chercher une contemporanéité élargie et à préserver ou à recréer marginalement le passé (reconstructions et projets de reconstruction multiple).
Pour reprendre le propos de Venise, je pense que l'image passe par le symbole. Effectivement chacun à sa lecture de la ville, et donc à chaque individu une image. Néanmoins nous sommes dans le cas où il y a un contact direct entre l'individu à la ville. Tu cites ton expérience (10 années à Paris) et celle du touriste.
Mais il est un autre cas, celui où l'image que tu te fais de la ville passe par des intermédiaires médiatiques. Or ceux-ci sont des productions plus ou moins calculées révélant une culture ou encore une stratégie commerciale.
Donc cette image se fonde déjà sur une représentation somme toute orientée et/ou subjective.
C'est belle et bien une image de la skyline de Londres 2020 qui est à l'origine de notre question. Et nous avons une représentation, du moins une interprétation de cette image.
Ainsi Londres semble intégrer (c'est ma lecture à travers les images qui circulent; je ne connais pas la ville) la modernité alors que Paris non.
Il y a donc comme le rappelle mynight une question de patchwork qui revient. Effectivement Swiss Re se fait symbole d'une contemporanéité patchwork (et non d'une modernité patchwork). la modernité en tant que rupture trouve sa place plus facilement à Londres qui semble capable de se régénérer sur elle même et d'opter pour un processus vertical, de stratification urbaine. Au contraire Paris est dans une logique horizontal de juxtaposition, d'agglomération. La ville est par essence un objet conflictuel ou la coprésence des styles semblent acceptable pour Londres, impossible pour Paris. La cohérence de la ville en semblerait fragilisé, finallement la modernité est rejetée aux marges. Paris tire son image de sa cohérence, de son ordonnancement, de sa noblesse que la rupture (la modernité) pourrait mettre à mal.
En ça la question de la banlieue est intéressante car c'est là que ce joue entre autre la modernité parisienne. Néanmoins je doute qu'elle n'intègre un jour celle-ci à son image. L'image de Paris se fonde sur l'ordre urbain et la cohérence. Il faudrait alors que la modernité soit dans un tout cohérent, ordonné.
La différence entre Londres et Paris c'est que de l'autre côté de la Manche les limites avec les banlieues sont beaucoup moins marquées. Londres ne se regénère pas dans son centre historique, cette idée est fausse. Les quartiers "contemporains" ou "modernes", suivant du point de vue où l'on se place, se construisent à la périphérie de l'hyper centre. Les constructions de l'est de Londres et de la rive sud de la Tamise n'ont pas été bâtit sur les poussières d'un patrimoine remarquable. Ce dont souffre Paris c'est de ne pas pouvoir sortir de son Périphérique. Donc la modernité ici est morcelée, suivant qu'une municipalité y soit sensible ou pas.
Quand je vois qu'à Issy ou Chantillon on construit du Néo Haussmanien c'est ridicule! la recherche de l'identité ne peut pas passer par la copie!
...Caen Capitale
La modernité perçue à Londres ne l'est que pour les avertis, le commun des mortelles, le touriste qui rêve de Londres veut visité Buckingham ou Tower of London. Peut-être une exception avec the Eye of London et encore dans la mesure où c'est une attraction "Panoramique". Je pense que la modernité n'est pas attendu en Europe, elle y est découverte par hasard avec étonnement. Les gens qui visitent Londres ou Paris rêvent de tradition et d'histoire et recherchent les symboles qui s'y rattache. A l'opposé les villes américaines ont longtemps incarné le modernisme dont le symbole en ont été les tours. Ce qui est plaisant à constater, c’est que ce phénomène tant à glisser vers l'Asie, et le moyen orient.
...Caen Capitale
Je vois les choses de manière beaucoup plus simple que vous. Pour moi, la différence d'image de ces deux villes, sur les forums internet consacrés à l'urbanisme évoqués, provient d'abord du fait que Londres est considérée comme un objet marketing par les politiques qui la dirigent. Leur objectif est de promouvoir, vendre du Londres, face à la concurrence des autres villes, exactement comme on assure la promotion d'un produit dans le domaine commercial.
Pour vendre un produit, il faut :
- le renouveler constamment (ici au moyen de l'architecture moderne, mais avec une architecture qui se remarque, attire l'attention donc des gratte-ciel) ;
- le présenter comme meilleur que ses concurrents (comme dans la publicité comparative) : ici il y a un ou des institut(s) dont la raison sociale est clairement annoncée : promouvoir par tous les moyens l'image internationale de Londres. Ils fabriquent et publient régulièrement des études, avec tableaux de chiffres à l'appui, qui démontrent forcément toujours la même chose : l'envolée des indices économiques londoniens et l'écart qui se creuse (en faveur de Londres) entre Londres et ses concurrentes internationales.
- gonfler autant que faire se peut l'importance du produit pour le mettre au diapason de la concurrence (ici les 18 millions d'habitants, mentionnés seulement sur le site de la mairie de Londres, pour hisser Londres au même niveau que sa concurrente d'outre-atlantique).
- lui trouver un slogan, agressif/comparatif si possible (ici : Greatest City in the world!!) ;
- lui trouver des concours internationaux à gagner et tenter de les gagner par tous les moyens, fussent-ils plus ou moins louches (les jeux olympiques).
On récolte les fruits de cette démarche par les retombées économiques, en terme d'emplois, d'investissements... C'est le business urbain.
Pendant ce temps, Paris ne joue pas du tout sur ce registre de la concurrence et du marketing de la ville. Son équipe municipale joue la carte de l'aménagement à taille humaine, des logements sociaux, des crèches, de la réduction de l'utilisation de la voiture en ville, de la création de parcs, jardins, coulées vertes, axes verts, plantations d'arbres... L'équipe minicipale de Paris ne semble penser qu'aux Parisiens et à leur améliorer les conditions de vie. Elle n'est pas du tout dans une optique de confrontation et de concurrence internationale, comme l'est celle de Londres.
Qu'en pensez-vous ?
venise a écrit:
Pour une ville, le terme de symbole me gêne, c'est trop réducteur ; et puis c'est soit la carte postale, soit la démarche institutionnelle, dont le volontarisme est le plus souvent contre-productif. En revanche l'image, c'est ce qui est vu ou perçu, on peut agir dessus en travaillant sur le concret et non sur la représentation. C'est à la fois subjectif et réel. Les images sont personnelles et multiples. C'est à la fois complexe et intime. Donc la représentation d'une ville ne se maîtrise pas, surtout pour des capitales que tout le monde connait. Elle échappe forçément à l'appréhension, et c'est tant mieux.
J'ai vécu 10 ans à Paris, mais tu ne connais pas ma géographie personnelle de cette ville. Un touriste en a aussi une vision personnelle même en trois jours ou moins. Quelqu'un qui n'y est jamais venu en a vu des images, par la télévision et le cinéma, ou une représentation mentale par des romans ou des récits. Pareil pour moi pour des villes que je ne verrai jamais en vrai.
Je suis d'accord avec le fait qu'il y a autant de représentations de la Ville que d'habitants. Tout le travail de communication institutionnelle est de saisir les faisceaux communs de ces représentations, et d'y travailler afin soit de les orienter différemment, soit d'en créer de nouveaux en s'appuyant sur l'existant, et de fédérer dès lors ces représentation en une image unanimement reconnue.
Exemple : "Montpellier la Surdouée" : Antigone et le néo-classicisme de Bofill ont très parfaitement symbolisé une image de la modernité en réinjectant dans le futur un système gréco-romain. Cet arc tendu entre passé culturel riche, héritage symbolique prestigieux, et contemporanéité ancrée dans la gouvernance avant l'heure (Agora représentant le lien entre l'institution et le peuple, Conseil Régional dans une arche symbolisant triomphe de la démocratie et alliance avec les administrés, perspective symbolique signifiant un trajet fédérant les habitants, etc tc) ont fait l'assentiment collectif, et Antigone a cristallisé une nouvelle image de la modernité appuyées sur le slogan 'Montpellier la surdouée' qui est un paradigme de la réussite harmonieuse consistant à englober un héritage en le remaniant par la contemporanéité.
La question est de savoir en quoi un monument (étymologiquement monumentum >> (de monere au sens de «faire penser, faire se souvenir»), tout ce qui rappelle le souvenir ; marque, signe de reconnaissance) peut fédérer la représentation d'une Ville. Comment un monument peut-il symboliser ce qui n'est pas encore (le futur, par exemple) ce qui est paradoxal, et comment peut-il cristalliser une représentation de concepts abstraits qui fassent l'assentiment collectif ?
Je vais m'appuyer sur la Tour Eiffel pour essayer de comprendre, déjà, comment un objet architectural peut devenir une icone, et montrer que ça ne se fait pas du jour au lendemain, mais que cette substance iconique est intimement liée à la vision du monde d'un temps... et que les temps changent
Je prétendais plus haut qu'elle ne symbolisait pas autant Paris que la francité. (La francité, je le rappelle, c'est l'ensemble des caractères propres au peuple français, à sa culture. En elle-même, elle est donc une représentation). Quelle est cette francité que l'on peut immédiatement identifier - même malgré nous ! - en voyant une image de la tour Eiffel ?
Je rappelle que la TE a été construite pour l'exposition universelle de 1889 à titre provisoire. Cette structure n'est pas aussi gratuite que cela : elle cristallise le savoir-faire de l'ingénierie française concernant les nouvelles techniques métallurgiques qui sont en train de révolutionner l'architecture - la plupart des gratte-ciel qui seront construits dans les 20 ans à venir utiliseront des structures acier proches de la technologie ici mise en oeuvre, même si la TE n'utilise encore que du fer. 1889, c'est le centenaire de la Révolution Française, construire un symbole géant qui commémore également cette Révolution, c'est prétendre incarner une culture entière en la symbolisant dans un objet qui rayonne sur le monde. La tour Eiffel est donc conçue pour personnifier à la face du monde la puissance de la Nation centenaire.
La tour présente un poids-plume de 11000 tonnes ce qui est du jamais vu à l'époque, demande deux ans pour être achevée, et est prétexte à un nouveau type social de chantier : jamais la sécurité des ouvriers n'a été à ce point au centre des préoccupations. Sa prise au vent est quasi-nulle, elle n'est conçue que pour osciller de 12 centimètres à son sommet. Et surtout, elle reste le plus haut monument du monde jusqu'à 1930, date de construction du Chrysler Building).
Cette tour est décriée par une très grande part de la population parisienne, et ce refus est relayé dans la presse écrite - qui est un très puissant moyen d'expression à l'époque, bien plus qu'actuellement.
Voici quels sont les principaux griefs qui apparaissent autour de 1887-1900 :
-> Som emplacement en plein Champ-de-Mars (qui n'est à l'époque qu'un carré de sable, mais où il est de bon ton d'être vu)
-> Son inutilité mise en rapport avec le coût de l'objet
-> Son gigantisme qui écrase les monuments alentour
-> Son matériau, le fer, considéré comme ignoble par rapport à la pierre, matériau noble
-> Son symbole babélien - et donc décadent, ce qui est paradoxal puisque le mouvement littéraire dit "décadent", issu du naturalisme, en la personne de Huysmans, notamment, est celui qui décrie le plus la TE
-> Le fait que Paris est la capitale mondiale de l'Art et du bon-goût, et que comme telle elle n'a pas besoin d'être sur-symbolisée par un mnstre de modernité
-> Le symbolisme industriel trop prégnant : l'ouvrier est sale, il n'a droit de cité que dans les grandes manufactures de banlieue, Paris est un sanctuaire des arts qui ne doit pas être corrompu par la plèbe des ouvriers
-> Le mercantilisme représenté dans la créature surplombant la ville, dont le père est l'ingénieur qui travaille au canal de Panama, cette image économique étant désastreuse pour la capitale des Arts
On le voit, dans l'inconscient collectif, la TE déssaisit Paris de son patrimoine et cristallise de nouvelles valeurs - puissance économique, industrielle - qui vont à l'encontre d'un patrimoine précieux et avant tout culturel.
Les arguments avancés pour poursuivre le projet sont les suivants :
-> on n'annule pas un chantier en cours, il fallait sa plaindre avant ( )
-> personne ne l'a encore vu, la TE, puisqu'elle n'est pas construite : comment la juger, se pourrait-elle qu'elle soit belle ? (
)
Eiffel dans le journal Le Temps, entretien avec Paul Bourde, 1888 :
Le premier principe de l'esthétique architecturale est que les lignes essentielles d'un monument soient déterminées par la parfaite appropriation à sa destination. Or, de quelle condition ai-je eu, avant tout, à tenir compte dans la Tour ? De la résistance au vent. Eh bien ! je prétends que les courbes des quatre arêtes du monument telles que le calcul les a fournies, qui, partant d'un énorme et inusité empâtement à la base, vont en s'effilant jusqu'au sommet, donneront une grande impression de force et de beauté ; car elles traduiront aux yeux la hardiesse de la conception dans son ensemble, de même que les nombreux vides ménagés dans les éléments mêmes de la construction accuseront fortement le constant souci de ne pas livrer inutilement aux violences des ouragans, des surfaces dangereuses pour la stabilité de l'édifice.
Il y a, du reste, dans le colossal une attraction, un charme propre, auxquels les théories d'art ordinaires ne sont guère applicables. Soutiendra-t-on que c'est par leur valeur artistique que les Pyramides ont si fortement frappé l'imagination des hommes ? Qu'est-ce autre chose, après tout, que des monticules artificiels ? Et pourtant, quel est le visiteur qui reste froid en leur présence ? Qui n'en est pas revenu rempli d'une irrésistible admiration ? Et quelle est la source de cette admiration, sinon l'immensité de l'effort et la grandeur du résultat ? La Tour sera le plus haut édifice qu'aient jamais élevé les hommes. Ne sera-t-elle donc pas grandiose aussi à sa façon ? Et pourquoi ce qui est admirable en Égypte deviendrait-il hideux et ridicule à Paris ? Je cherche et j'avoue que je ne trouve pas.
La concession de la tour s'achève en 1910 et il est question de la détruire, mais Eiffel s'appuie sur le fait que la hauteur de l'édifice permet d'y créer une station météorologique du plus grand intérêt scientifique, ce qui fait qu'on ne va pas démonter la tour. De plus, pour répondre à l'inutilité du monument, on y installe en 1906 une station radio inamovible. Comme quoi, c'est bien la technologie qui a prosaïquement sauvé la tour.
A l'heure actuelle, la TE est le monument le plus visité au monde, avec 6 millions d'entrées par an. Comment a-t-on pu passer d'une image aussi déplorable à une image aussi positive ?
D'abord, d'un point de vue culturel, les courants sont allés de représentatif à l'abstraction, et cette vision du monde a suivi les avancées scientifiques qui ont été de plus en plus rapides au XXe siècle. En 1899, on en est au naturalisme, l'héritage se situant dans une culture de la description précise du monde. On est dans un système de pensée qui aime à se réclamer du passé gréco-latin, afin d'y injecter une vision scientifique - darwinienne - du monde. C'est là toute la substance du Parnasse. Les lecteurs se sont approprié cette vision du monde nourrie de tradition. Mais n'oublions pas qu'il existe une année décisive, en France, dans l'histoire de la pensée, et qu'on considère cette année comme le réel début du XXe siècle, et cette année, c'est 1913.
Je rappelle qu'on considère en histoire de la pensée que les productions littéraires ou artistiques d'un temps sont le symptôme de la vision du monde de ce temps.
En 1913, paraît Alcools d'Apollinaire, qui est le premier recueil de poésie disons unanimement 'reçu' qui se fonde sur la destructuration formelle de la langue. Ce système ne se réclame absolument pas d'une tradition gréco-latine, et permet d'entrevoir une nouvelle manière d'appréhender l'esthétique.
Dans le poème "Zone", on peut lire :
« Bergère ô Tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin ».
Apollinaire en fait même un calligramme :
Pour la première fois, le Sacre du Printemps de Stravinsky est joué à Paris. Cette musique dodécaphonique en rupture complète avec la musique française d'un Chopin ou d'un Debussy provoque un scandale. La travaux de Freud (la Première Topique date de 1900) commencent à être lus en France. Les mouvements anarchistes commencent à rayonner (bande à Bonnot, naissance de la Fédération communiste révolutionnaire anarchiste, et participation de nombreux artistes à la presse de ce courant, dont Octave Mirbeau ou Pissaro). Bref, tous les éléments sont réunis pour préparer l'apparition du surréalisme. Je passe les détails, et l'apparition du Dada en 1916. Simplement, le surréalisme est le témoin de deux choses fondamentales : il reconnaît le droit à la création destructurée et débridée, et il reconnaît à l'homme une part d'inconscient qui préside à ses intentions. Ceci va faire beaucoup dans l'appréhension commune concernant l'esthétique.
D'une ville façonnée par le patrimoine, il y a une prise de conscience que l'industrie et la technique peuvent laisser une empreinte, et que le monde ouvrier est fondamental dans la survie économique du pays - même si une frange de la population se méfie - et se méfiera toujours. La Tour Eiffel ne fait qu'annoncer ce changement des mentalités. Elle cristallise non seulement une puissance culturelle française en symbolisant une civilisation issue de valeurs révolutionnaires, mais aussi le bouleversement de l'industrie sur la civilisation.
Mais de plus, par l'expansion de nouveaux courants de pensée dont le surréalisme est le plus emblématique, on voit que la fonction utilitaire des objets architecturaux n'est pas nécessairement fondamentale, et que l'imaginaire est une force constitutive de l'humain autant que sa dimension rationnelle. Ce fait sera appuyé dans les années 30 par le freudisme. On en arrive donc tout naturellement à une rupture avec les valeurs passées. Or, il semble bien que les combats de la pensée du XXe siècle proclament haut et fort cette rupture avec le XIXe, et donc avec ceux qui décriaient avec force la modernité, y compris d'ailleurs la tour Eiffel. L'abstraction des formes devient un principe esthétique, et le hasard une dynamique de création.
Braque, Fruit Dish, 1908-1909
Jean Arp, Rectangles selon les lois du hasard, 1916
Tout cela pour dire que l'appréhension des choses change suivant le temps, et que la manière de concevoir une esthétique également - le domaine qui s'occupe de cela, en sciences humaines, se nomme 'théorie de la réception'.
L'image de la TE a sans conteste subi ce basculement des valeurs dû à l'abstraction des formes.
Delaunay, 1910
Delaunay, 1926
Chagall, 1913
Dufy, 1935
Chagall, Les Mariés de la tour Eiffel, 1939
Le monument subit une appropriation seulement par sa forme qui finalement est très proche de l'abstraction qui est recherchée dans l'esthétique de l'entre-deux guerres. En clair, non seulement elle ne choque plus, mais en plus, elle devient à elle seule un véritable manifeste, comme pouvaient l'être avant elle d'autres monuments qui symbolisaient le goût artistique français.
C'est à partir de ce moment qu'elle devient patrimoniale. Mais de plus, par son gigantisme encore non détrôné jusqu'en 1930, elle prend là sa juste dimension iconique. La francité qu'elle symbolise est industrielle, mais également avant-gardiste, et la frange des écrivains du XIXe qui la décriait était elle-même inscrite dans un siècle traditionnaliste. La Tour Eiffel finit par symboliser un renouveau de l'art Français, un renouveau qui assume pleinement les nouvelles orientations économiques du temps.
C'est dans cette optique que je pense que l'iconographie de Swiss Re, à Londres, n'est certainement pas aussi riche, pour la raison bien simple que cet objet n'a pas eu le temps de s'affirmer : il n'a pour ainsi dire pas encore d'histoire...
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wynopino a écrit:
La modernité perçue à Londres ne l'est que pour les avertis, le commun des mortelles, le touriste qui rêve de Londres veut visité Buckingham ou Tower of London. Peut-être une exception avec the Eye of London et encore dans la mesure où c'est une attraction "Panoramique". Je pense que la modernité n'est pas attendu en Europe, elle y est découverte par hasard avec étonnement. Les gens qui visitent Londres ou Paris rêvent de tradition et d'histoire et recherchent les symboles qui s'y rattache. A l'opposé les villes américaines ont longtemps incarné le modernisme dont le symbole en ont été les tours. Ce qui est plaisant à constater, c’est que ce phénomène tant à glisser vers l'Asie, et le moyen orient.
Je suis convaincu qu'on ne choisit pas la modernité, c'est elle qui s'impose. On peut avoir une attitude de protection vis-à-vis d'un patrimoine, ce qui est différent. Mais comment figer un organisme mouvant qu'est une ville ?
Prends Chicago : elle fut détruite presque entièrement dans un incendie en 1871. Prends Londres : détruite par un incendie en 1666. San Francisco : détruite par un tremblement de terre en 1906. Tokyo, tremblement de terre, 1923. Bref bref. Ces tables rases permettent une reconstruction en profondeur. Regarde Berlin ou Le Havre et la guerre, également.
Cependant, comment aller à l'encontre de l'existant pour permettre à de nouveaux courants architecturaux ou à de nouvelles appréhensions de l'urbanisme de creuser leur trou ?
Ceci dit, je rappelle que ce thread a pour objet la représentation des villes, et non leur aménagement. Dès lors, peut-on faire le raccourci gratte-ciel = modernité ? Je ne pense pas qu'un gratte-ciel symbolise autre chose que la puissance économique : la ville moderne est l'expression fonctionnelle d'une réalité marchande ou économique, et le but y est d'y concentrer les capitaux, pour y favoriser les échanges.
Mais si on y regarde de près, finalement, cet urbanisme fonctionnalisé et surtout les représentations qu'il sécrète reste entièrement emprunt de représentations du passé.
-> les utopies urbaines y sont récurrentes, puisqu'il s'agit toujours de transformer l'ordre spatial pour créer des relations sociales, et que ces relations sociales sont sous-tendues par l'idéologie qui les préside. C'est F. CHOAY, qui dans L'Urbanisme, utopies et réalités, Seuil, 1965 montre que les deux directions possibles sont soit une attitude 'progressiste' à la manière du Corbusier, qui détermine la ville par ses fonctions et qui donc la rationnalise de manière idéaliste, ou alors à l'inverse une attitude 'culturaliste', c'est-à-dire issue d'un idéal politique et culturel. Dans les deux cas, on est dans un idélisme utopique.
-> La ville polarise donc des relations sociales, économiques et politiques, et comme telle, elle est bel et bien issu d'une vision du monde, celle-ci ne pouvant être ex-nihilo, elle a un passé, une culture, une histoire.
A l'idée de ville est fermement associée l'idée de civilisation, y compris en ce qui concerne son apogée ou son déclin. Ce rapport entre milieu et conduites reste donc prégnant, et fermement ancré dans une mythologie. La modernité en soi est elle-même une mythologie, c'est-à-dire quelque chose d'impalpable qui a ses racine dans le réel mais que l'on ne perçoit dans le quotidien qu'à travers des représentations. La modernité est abstraite, impalpable, comment la définir ? A supposer qu'on puisse lui accorder une définition définitive et universelle, comment ensuite en voir les symptomes dans les villes du monde ?
Je pense que la modernité est issue de chaque peuple, de chaque culture, et que le fait que l'économie se mondialise arase progressivement ces particularismes pour créer un standard. Auquel cas, ce standard, quel est-il, comment peut-il s'appliquer partout de la même manière à des civilisations différentes ? Et comment se traduirait-il sur le terrain, si ce n'est justement avec l'apparition standard de clusters de gratte-ciel standards ?... La ville est un lieu de durées et de sursauts, de strates et de nouveauté. Mais les représentations qu'on en a ne sont jamais acquises sur des tables rases, elles sont uniquement inscrites dans la durée. C'est pourquoi les villes créées ex-nihilo (comme Brazilia, par exemple, ou comme certaines villes de Chine) reprennent toujours des codes fermements inscrits dans l'urbanité.
Mais au fait, justement, cette urbanité, c'est quoi ?
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Pourquoi les idées qui ont prévalues dans les années 60/70 lors de la constructioin des villes nouvelles ont échappé à ce que tu qualifies de codes de l'urbanité?
...Caen Capitale
Je ne suis pas certain que ces espaces aient échappé à ces codes, au contraire, puisqu'ils s'inscrivent dans le 'progressisme'. Je développe demain
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Très intéressant sujet Mynight!
je ne peux pas vraiment y participer faute de temps mais ça me démange!!!! :)
@Sylvain
J'adhère assez sur les grandes lignes. Reste que la communication politique actuelle ne repose pas sur rien mais sur une tradition, un corpus d'idées, de valeurs et de faits sur lesquels Londres se retrouve en permanence. L'arrogance, la dimension conquérante, n'a rien de neuf. La rivalité économique avec NY ne date pas d'hier non plus....
@JP
je suis d'accord sur les grandes lignes mais quelques points mériteraient plus ample discussion. Puis, il faudrait que tu t'y rendes à Londres, prendre de superbes photos!
si Maubeuge apparaît si photogénique avec toi...qu'est ce qu'on peut attendre de Londres?
MyNight a écrit:
Ce qui m'ennuie, c'est que la banlieue parisienne ne correspond pas du point de vue mythique, dans cette recherche de la contemporanéité, à Paris-centre. Même la Défense est à l'extérieur. Et je ne pense pas que ma petite analyse fonctionne pour l'IDF. Elle est tronquée. La banlieue a une image dégueulasse qui correspond à un paysage fantasmatique chaotique. Les tours - si on vire les numbies de mauvaise foi de l'équation - sont partie intégrante de la quotidienneté. On est là encore dans une logique de patchwork, mais on remarquera qu'outre une recherche d'identité institutionnelle, il n'y a ni recherche de particularisme contemporain, ni recherche de contemporanéité dans le respect d'une image traditionnelle : la banlieue s'adapte à des fonctions, point. Le mythe vient après.
La banlieue souffre-t-elle de la recherche d'image parisienne dans son dynamisme, empiète-t-elle sur une sorte de symbole 'sacré' ? Londres ne se pose pas la question, Swiss Re en est la preuve.
Bon, MyNight, je vais te répondre mais s'il te plaît oublie qui je suis et ne réponds qu'à ce que j'écris, le reste on s'en moque.
Je pense personellement que cette vision de la banlieue comme étant réduite à sa simple fonctionalité urbaine est un mythe, certes très répandu dans les médias et l'imagerie populaire, mais néanmoins une vision extrêmement restrictive de la réalité. Les habitants de la banlieue ne se disent pas "banlieusards", certes on les appelle comme ça mais ça n'est pas le qualificatif auquel ils s'identifient personellement. Le problème, c'est la diversité des différentes réalités de la banlieue. Sous le même qualificatif on désigne Neuilly et Torcy, Aubervilliers et le Vésinet, Les Mureaux et Sceaux. Or ces communes n'ont aucun point commun les unes vis-à-vis des autres. Le seul point commun de tous ses endroits, c'est que les parisiens du centre les considèrent comme dans leur périphérie, ça s'arrête là. En ce sens, un banlieusard a un sentiment fort d'appartenance à sa ville, et cela est vrai partout. Si tu rencontres quelqu'un de Vincennes, il se sentira très fortement Vincennois, il ne se dira jamais banlieusard. La même chose sera tout aussi vrai pour les habitants de Garges-lès-Gonnesse, Alfortville ou Versailles, et ce malgré - ou peut-être surtout - parce que ces communes n'ont rien à voir les unes avec les autres. C'est parce que les identités locales sont très fortes que les banlieusards parlent de leur commune comme d'une ville à part entière. Montfermeil et le Raincy, c'est peut-être la même chose dans l'imagerie populaire, mais sur le terrain, ce sont deux communes qui n'ont absolument rien à voir, même si elles sont presque limitrophes.
Les villes de banlieue, ce sont avant tout des lieux de vie. Pourquoi quelqu'un d'Aubervilliers se sent tellement d'Aubervilliers ? Tout simplement parce qu'il connait les commerçants du marché avec lesquels ils discutent de tout et de rien, parce qu'il reçoit le journal de la mairie tous les mois, parce qu'ils connaient les voisins et qu'ils s'arrêtent pour faire un brin de causette lorsqu'ils se croisent à l'entrée du métro. La vie de quartier est beaucoup plus forte en banlieue qu'à Paris même. Les arrondissements ne sont qu'un maigre palliatif au fait que Paris est trop grand pour y sentir une quelconque proximité locale. L'anonymat touche beaucoup plus Paris que la banlieue, même la banlieue dense de la première couronne. Les personnes agées qui mourraient dans l'anonymat complet lors de la canicule de 2003, elles étaient d'abord à Paris intra-muros, pas en banlieue.
Je sais que l'idée peut choquer de prime abord, mais je serai preque pour que les arrondissements de Paris se voient attribuer des noms. Ils ont certes une identité, mais cet identité ne crée pas une vie de quartier comme c'est le cas dans les communes de proches banlieues. Le problème, c'est qu'en France on ne peut être que d'une ville, pas d'un quartier dans une ville. Soit on est à Paris, soit on est aux Batignolles, mais si les Batignolles doivent s'intégrer à Paris, alors ils doivent dorénavant s'appeler le 17em arrondissement de Paris. Il ne peut pas être l'arrondissement des Batignolles dans Paris parce qu'on ne peut vivre localement sous deux noms à la fois. Pourtant, on peut à la fois être de Fulham et de Londres, sans que cela ne choque personne. Déjà ici, on voit toute la différence entre Paris et Londres. Londres n'a pas de banlieue parce que la banlieue fait tout simplement partie de Londres. A partir de là, on comprend bien que la vision de ce qu'est la ville au Royaume-Uni et en France n'a déjà strictement rien à voir.
wynopino a écrit:
La différence entre Londres et Paris c'est que de l'autre côté de la Manche les limites avec les banlieues sont beaucoup moins marquées. Londres ne se regénère pas dans son centre historique, cette idée est fausse. Les quartiers "contemporains" ou "modernes", suivant du point de vue où l'on se place, se construisent à la périphérie de l'hyper centre. Les constructions de l'est de Londres et de la rive sud de la Tamise n'ont pas été bâtit sur les poussières d'un patrimoine remarquable. Ce dont souffre Paris c'est de ne pas pouvoir sortir de son Périphérique. Donc la modernité ici est morcelée, suivant qu'une municipalité y soit sensible ou pas.
C'est très juste, et c'est aussi très destabilisant. Lorsqu'on est dans l'agglomération londonienne, on est toujours à Londres... à moins d'être proche de la ceinture verte mais bon c'est franchement un cas limite. En fait, le centre dense de Londres est de taille assez réduite comparé à celui de Paris, très rapidement on se retrouve dans des zones où l'habitat individuel est roi, et pourtant, on y est toujours à Londres. Comme tu l'as très justement dit, hormis la City où l'on a construit SwissRe, les autres quartiers en construction sont tous dans ce qui serait, structurellement, la "proche banlieue" dans le contexte urbain parisien. Néanmoins, les répères psychologiques et l'organisation n'ont rien à voir avec ceux de Paris. Le Greater London est géré dans son intégralité, avec un système de métro qui le dessert de part en part. La ville de Londres respire beaucoup plus, dans le sens qu'elle ne s'est pas enfermé dans de multiples frontières urbaines comme c'est le cas à Paris.
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(Petit aparté)
wynopino a écrit:
Quand je vois qu'à Issy ou Chantillon on construit du Néo Haussmanien c'est ridicule! la recherche de l'identité ne peut pas passer par la copie!
Le néo-haussmannien à Issy ou à Chatillon, ça reste quelque chose de franchement très marginal. Au passage, les rares immeubles dans ce style sont plus des versions françaises des condomiums anglo-saxons qu'autre chose. Je ne pense pas qu'il faut considérer ces constructions récentes comme des copies car cela signifierait que ces immeubles se voudraient comparer aux originaux, or ça n'est pas du tout le cas pour la plupart. Il s'agit d'immeuble avec tous le confort moderne, du parking au vide ordure, qui veulent avoir une façade plus attrayante et donc un béton recouvert de dalles de pierre. Franchement, ça n'est pas si laid et si prétentieux qu'on peut le laisser entendre.
Je tiens d'ailleurs à dire au passage qu'on peut aussi trouver d'authentiques immeubles haussmanniens du début du XXem siècle à Issy et à Châtillon. Même à Colombes il y a d'authentiques immeubles Haussmaniens !
PARIS BELONGS TO EVERYONE.
Metropolitan a écrit:
Je sais que l'idée peut choquer de prime abord, mais je serai preque pour que les arrondissements de Paris se voient attribuer des noms. Ils ont certes une identité, mais cet identité ne crée pas une vie de quartier comme c'est le cas dans les communes de proches banlieues. Le problème, c'est qu'en France on ne peut être que d'une ville, pas d'un quartier dans une ville. Soit on est à Paris, soit on est aux Batignolles, mais si les Batignolles doivent s'intégrer à Paris, alors ils doivent dorénavant s'appeler le 17em arrondissement de Paris. Il ne peut pas être l'arrondissement des Batignolles dans Paris parce qu'on ne peut vivre localement sous deux noms à la fois. Pourtant, on peut à la fois être de Fulham et de Londres, sans que cela ne choque personne. Déjà ici, on voit toute la différence entre Paris et Londres. Londres n'a pas de banlieue parce que la banlieue fait tout simplement partie de Londres. A partir de là, on comprend bien que la vision de ce qu'est la ville au Royaume-Uni et en France n'a déjà strictement rien à voir.
[...]
C'est très juste, et c'est aussi très destabilisant. Lorsqu'on est dans l'agglomération londonienne, on est toujours à Londres... à moins d'être proche de la ceinture verte mais bon c'est franchement un cas limite. En fait, le centre dense de Londres est de taille assez réduite comparé à celui de Paris, très rapidement on se retrouve dans des zones où l'habitat individuel est roi, et pourtant, on y est toujours à Londres. Comme tu l'as très justement dit, hormis la City où l'on a construit SwissRe, les autres quartiers en construction sont tous dans ce qui serait, structurellement, la "proche banlieue" dans le contexte urbain parisien. Néanmoins, les répères psychologiques et l'organisation n'ont rien à voir avec ceux de Paris. Le Greater London est géré dans son intégralité, avec un système de métro qui le dessert de part en part. La ville de Londres respire beaucoup plus, dans le sens qu'elle ne s'est pas enfermé dans de multiples frontières urbaines comme c'est le cas à Paris.
Si tu veux parler de la notion de frontières, alors réfléchis sur ce qu'elle implique du point de vue des représentations et de la mythologie urbaine.
Ce n'est PAS un thread sur l'aménagement du territoire. Il y a dans le forum d'autres endroits pour parler de ça. Sinon, inutile de poursuivre dans cette voie ici, il y a d'autres sujets pour ça (la métropolisation, les frontières institutionnelles, la coopération Paris/1ère couronne, etc.). Merci de bien vouloir respecter l'esprit de ce thread.
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Sylvain a écrit:
Je vois les choses de manière beaucoup plus simple que vous. Pour moi, la différence d'image de ces deux villes, sur les forums internet consacrés à l'urbanisme évoqués, provient d'abord du fait que Londres est considérée comme un objet marketing par les politiques qui la dirigent. Leur objectif est de promouvoir, vendre du Londres, face à la concurrence des autres villes, exactement comme on assure la promotion d'un produit dans le domaine commercial.
[...]
Pendant ce temps, Paris ne joue pas du tout sur ce registre de la concurrence et du marketing de la ville. Son équipe municipale joue la carte de l'aménagement à taille humaine, des logements sociaux, des crèches, de la réduction de l'utilisation de la voiture en ville, de la création de parcs, jardins, coulées vertes, axes verts, plantations d'arbres... L'équipe minicipale de Paris ne semble penser qu'aux Parisiens et à leur améliorer les conditions de vie. Elle n'est pas du tout dans une optique de confrontation et de concurrence internationale, comme l'est celle de Londres.
Qu'en pensez-vous ?
Je suis totalement d'accord avec cette analyse. Au passage et en cherchant à élargir le débat, la position de New York semble plus proche de celle de Paris que de celle de Londres. Il semblerait que Londres, en tout cas dans sa communication municipale, cherche à se battre pour obtenir sa place. A l'inverse, une telle bataille semble beaucoup plus snobée par Paris et New York, qui considèrent qu'elles ont déjà leur place et donc qu'elles n'ont plus rien à prouver de ce côté-là. En somme, on peut dire qu'il existe une certaine arrogance à Paris ou à New York qui amène ces villes à se concentrer sur elle-même, en se regardant un peu le nombril, plutôt qu'à chercher la confrontation internationale.
Je ne saurai expliqué cette différence. Je ne pense pas que cela soit une question de statut puisque Londres n'a rien à envier aux deux autres. C'est peut-être une question d'état d'esprit. Les Newyorkais et les parisiens étant plus arrogants et ne regardant pas ailleurs parce que ce serait forcément moins intéressants que chez eux ; les londoniens étant quant à eux plus chauvins et passant leur temps à prêcher pour leur paroisse aux quatre coins de la planète.
PARIS BELONGS TO EVERYONE.
MyNight a écrit:
Ce n'est PAS un thread sur l'aménagement du territoire. Il y a dans le forum d'autres endroits pour parler de ça. Sinon, inutile de poursuivre dans cette voie ici, il y a d'autres sujets pour ça (la métropolisation, les frontières institutionnelles, la coopération Paris/1ère couronne, etc.). Merci de bien vouloir respecter l'esprit de ce thread.
Cette notion de frontières urbaines est au coeur de celle de la représentation et de l'image de la ville. Il n'y a pas de raison de considérer cela comme hors sujet puisque c'est au coeur même du sujet.
Le fait est que, parce que les frontières sont là où elles se trouvent, la représentation des deux villes sont très dissemblables. Imaginons que les frontières de Londres soient plus restrictives, que South Kensington soit à la frontière Ouest et que la City soit à la frontière Est de la ville, la représentation qu'on aurait de cette ville ne serait pas la même... et ce même si rien d'autre ne serait changé. Ce qui est vrai ici le serait tout autant si les frontières de Paris seraient beaucoup plus extensives. Mais si les choses sont telles qu'elle sont, c'est pour une raison de fond, qui est tout simplement que la représentativité de la ville au Royaume-Uni et en France n'est pas la même. Tu ne peux pas parler de l'image sans parler de la représentation de ce qu'est la ville. Tu comprends ce que je veux dire ?
PARIS BELONGS TO EVERYONE.
L'image est reçue, la représentation est donnée. Où est la réalité ?
Cela étant, j'en resterait à la subjectivité. Quand j'habitais Paris j'ai toujours essayé de rester intra-muros (!) malgré la cherté des loyers, pour avoir l'impression de rester en ville. Cest un point de vue de piéton : le périphérique est une frontière pour tous ceux qui se passent de voiture à Paris.
Cette frontière n'est sans doute pas sensible pour ceux qui la franchissent en train chaque jour, mais plus visible pour les automobilistes. En quoi c'est la position du sujet qui fait le territoire.
La représentation, c'est une image que l'on veut donner aux autres, donc une subjectivité que l'on impose, lorsqu'on est en mesure de le faire. C'est pourquoi elle sera toujours troublée par d'autres images. En effet on ne peut pas tout maîtriser. L'irruption des banlieues dans l'actualité comme dans l'image de la ville en est la preuve.
venise a écrit:
L'image est reçue, la représentation est donnée. Où est la réalité ?
Cela étant, j'en resterait à la subjectivité. Quand j'habitais Paris j'ai toujours essayé de rester intra-muros (!) malgré la cherté des loyers, pour avoir l'impression de rester en ville. Cest un point de vue de piéton : le périphérique est une frontière pour tous ceux qui se passent de voiture à Paris.
Cette frontière n'est sans doute pas sensible pour ceux qui la franchissent en train chaque jour, mais plus visible pour les automobilistes. En quoi c'est la position du sujet qui fait le territoire.
Pourtant, ici, c'est impression est une fausse idée. L'impression de rester en ville, on l'a finalement dans l'ensemble de la zone qui est desservi par le métro (pas le RER). Que tu ailles à Charenton, à Montreuil, à Boulogne, à Levallois ou à Saint-Mandé, tu auras clairement le sentiment d'être en ville. Ca n'est que derrière, là où les premiers quartiers pavillonaires apparaissent, que cet impression est coupé.
A mon sens, la frontière psychologique la plus importante est entre "servi par le métro ou non" finalement.
La représentation, c'est une image que l'on veut donner aux autres, donc une subjectivité que l'on impose, lorsqu'on est en mesure de le faire. C'est pourquoi elle sera toujours troublée par d'autres images. En effet on ne peut pas tout maîtriser. L'irruption des banlieues dans l'actualité comme dans l'image de la ville en est la preuve.
Ca par contre c'est totalement vrai. Non seulement l'impression que laisse une ville dépend des quartiers que l'on connait, des rencontres qu'on y a fait, des bars ou des restaurants que l'on a fréquenté, mais cela dépend aussi de ce que l'on attend d'une ville, par rapport à ses propres repères.
PARIS BELONGS TO EVERYONE.
wynopino a écrit:
Pourquoi les idées qui ont prévalues dans les années 60/70 lors de la constructioin des villes nouvelles ont échappé à ce que tu qualifies de codes de l'urbanité?
Je pense que la construction des villes nouvelles, ou disons plutôt des quartiers nouveaux - des "cités" pour ne pas les nommer - a été faite selon une idéologie que l'on pourrait qualifier de 'progressiste'.
Historiquement, le progressisme apparaît dans les années 30, à la suite de la foi qu'on mettait à la fin du XIXème siècle dans le progrès des sciences. Cela est lié au positivisme d'Auguste Comte. On considère que l'histoire va nécessairement dans le sens du progrès, et donc que vouloir le progrès, c'est aller dans le sens de l'histoire. Le progressisme a nourri une vision marxiste du monde, selon laquelle le progrès historique va dans le sens de l'établissement d'une société socialiste, mais il ne va pas jusque là.
Par contre, en urbanisme, ce courant est très important. Son précurseur est un certain 'Loos', qui cherche dès 1897 à rompre avec le traditionnalisme et l'historicisme afin d'intégrer l'essor des nouvelles technologies dans la ville, afin d'aboutir à un nouveau type de société. Cette attitude moderne exige donc la rupture d'avec le passé - ce en quoi la TE s'y inscrit pratiquement sans le vouloir...
Ainsi, en archi, une doctrine va s'élaborer en étroite liaison avec les mouvements artistiques plastiques. En Allemagne, c'est le Bauhaus avec Gropius, en France c'est l'Esprit Nouveau (qui est aussi le nom d'une revue) avec le Corbusier, etc.
Une critique s'élève alors sur l'habitat de masse et les séquelles du capitalisme en essor sur la physionomie de la ville. On part du constat suivant : la ville est laide et difficile à habiter. On est aux alentours de 1920. On va concevoir un modèle de ville pour répondre à ce constat, qui fonctionne sur les systèmes suivants :
-> un classement des bâtiments suivant leur fonction ;
-> une très haute densité qui implique du bâti en hauteur ;
-> un sol artificiel ;
-> une rigidité géométrique et orthogonale ;
-> un système hiérarchisé de voirie afin que l'automobile soit au centre des modèles de transport.
Pour Paris, cela donne le plan Voisin du Corbusier (1925) :
En Russie, Leonidov conçoit le Plan de Magnitogorsk (1919) :
En Allemagne, Hilberseimer avec Hochhausstadt ( 1924) :
La théorie de ce type d'urbanisme sera entérinée en 1928, par les Congrès Internationaux d'Architecture Moderne (CIAM) qui réunissent peu ou prou tous les architectes modernistes de l'époque. Du CIAM est issu la fameuse "Ville fonctionnelle" : c'est en analysant différentes villes existantes qu'il en sort un schéma de ville universelle, apte à organiser les quatres fonctions majeures de la ville qui résument, selon eux, tous les besoins humains :
-> le logement ;
-> la circulation ;
-> le travail ;
-> le délassement.
On privilégie alors le logement et la nature est introduite au coeur de la ville, sachant qu'il était dans l'air du temps (à la suite des cités jardins) de concevoir une ville sans frontière avec la campagne, et une campagne similaire aux villes. (La boutade d'A. Allais, 'la ville à la campagne', n'est pas simplement une anecdote).
De toutes ces conclusions, il paraît un ouvrage collectif nommé La Charte d'Athènes en 1933, que le Corbusier est le premier à faire paraître sous son nom en 1943 dans une édition annotée par lui. Inutile de préciser que ce ouvrage va devenir une sorte de bible en matière d'urbanisme, même si son contenu est ô combien réducteur et néopositiviste.
Il n'y a pas beaucoup de production de ce type à l'époque, sinon en Allemagne (les "siedlungen"), Autriche et Pays Bas:
Voir ici le Plan régulateur d'Amsterdam de Van Eesteren (publié en 1934)
L'urbanisme progressiste va surtout connaître son essor après la seconde guerre mondiale.
En Grande Bretagne, on construit des villes nouvelles selon le New Town Act (1946) d'Howard.
Cumbernauld, toujours en UK, reste le modèle le plus élaboré avec différents niveaux de sols artificiels et densité forte pour une new town (212 hab/km²) :
L'urbanisme progressiste, se réclame comme solution scientifique (puisque issue du positivisme) universelle aux problèmes posés par :
-> la croissance démographique des villes soulevée par l'exode massif des gens de la campagne désindustrialisée pour rejoindre les villes qui sont des sources denses de travail ;
-> par l'industrialisation et par l'essor économique donc.
Il s'impose de fait aux instances décisionnelles, politiques et administratives, confrontées à des problèmes sans précédent après la 2e guerre mondiale, et il connaît une diffusion planétaire, dans les pays développés comme dans le Tiers Monde.
Au nom de l'hygiène et de la modernisation, on va s'en servir pour rénover des vieux quartiers - les faubourgs, en France, sont à l'époque franchement immondes, souvent sans même de réseau d'assainissement. On réhausse les normes. On commence à appliquer ce type de rénovation en 1938 aux USA, où les protagonistes du Bauhaus se sont réfugiés (Mies van der Rohe, Gropius, Hilberseimer).
Mais cette idéologie urbaine gagne bientôt l'Europe, ou tout le parcellaire est revu. En France, c'est le décret du 31 décembre 1958 qui permet cette réforme des sols.
On en connaît certaines réalisation fort bien actuellement, puisque 600 hectares seront rénovés ainsi en IDF jusque dans les années 80. On peut y compter le Front de Seine, les Halles/Beaubourg ou le Quartier d'Italie, notamment.
Et puis on connaît tous les ZUP, en France, mais ce type de programme existe aussi dans les périphéries d'Amsterdam, de Stockolm, de Francfort.
Dans ces grands ensembles standards, on remarquera :
-> la héirarchisation des voies (la rue disparaît) ;
-> le sol artificiel (la dalle) ;
-> la géométrisation à outrance dans le but de rationnaliser les fonctions et d'accroître les densités ;
-> un équipement centralisé.
On peut aussi évoquer, dans le type ex-nihilo, Brazilia de Niemeyer, que tout le monde connaît :
...et Chandigarh, en Inde, du Corbusier, bien moins connu :
Il serait intéressant de voir en quoi ces archétypes idéologiques ont conformé une très péjorative représentation de la ville (qui n'a strictement rien à voir avec l'idée de frontières, comme le prétend Metropolitan).
Au début, on assiste à une véritable euphorie concernant ces morceaux de ville, qui triomphent, par leur aspect hygiéniste, des vieux quartiers ruinés et malcommodes que l'on connaissait qui ne possédaient souvent pas d'égoût, qui ne permettaient pas l'utilisation des transports modernes, qui maillaient de manière anarchique toutes les fonctions urbaines, et qui tombaient en ruine.
Mais progressivement, on s'est rendu compte des effets sociaux dévastateurs provoqués par la standardisation stéréotypée, par le gigantisme et par la pauvreté formelle et géométrique des ensembles de logements.
La première critique nous vient des USA, qui sont les premiers à avoir subi le progressisme pour les raisons évoquées plus haut. Lewis Mumford (1961), Jane Jacobs (1961) puis C. Abrams (1964) dénoncent le caractère totalitaire de ces programmes - on est dans un horizon socialiste d'habitat en commun, cela passe mal aux Etats Unis - qui ne tiennent aucun compte des aspirations de l'individu.
L'hygiène physique n'est pas l'hygiène morale, et cette dimension humaine paraît noyée dans la masse. La rue a disparu, ainsi que sa vie, ses échanges, ses rencontres.
Dans les années 60, en Europe, on commence déjà à aborder ces problèmes de forme. Mais on prend vraiment conscience de l'ampleur des dégâts en se penchant sur le fond du problème, c'est-à-dire sur les idéologies qui sous-tendent cette conception de la ville, qui ne sont elles-mêmes que des représentations. La démarche progressiste est jusgée comme simplificatrice, et même comme simpliste, car elle prend en compte un modèle urbain qui n'est soutenu que sur des fonctions pour ainsi dire caricaturales de la société. On n'a jamais tenu compte des avancées dans les sciences humaines, dans les technologies de pointe non plus qui permettent d'aller au-delà de la géométrie standard. On réclame un urbanisme transversal, qui prendra en compte l'anthropologie culturelle, la géographie politique, la sociologie, et même l'écologie.
Et surtout, on mettra en lumière que l'urbanisme ne peut pas être univoque - simplement politique ou idéologique), qu'il s'inscrit au contraire dans une démarche incluant de plain-pied les habitants, dimension qui a été "oubliée" dans les partis-pris des progressistes. L'architecte n'est pas un démiurge, la ville n'est pas un système qu'on peut monter ex nihilo, de rien, elle a une histoire, il est impossible d'en faire table rase.
Dès lors, les codes de l'urbanité développés dans les villes nouvelles dans les années 50-70 sont des codes parfaitement connexes à une vision du monde utopique et socialisante, mais aussi parfaits soient-ils dans leur abstraction, il ne tiennent pas en compte la réalité humaine.
Gros problème en France, c'est que l'image de la ville semble avoir été extrêmement tronquée par cette courte période laboratoire. Mais on comprend désormais mieux comment les ZUP sont nées, comment elles ont été vécues et pourquoi elles ont été décriées ensuite. Simplement, une volonté de planification qui n'a pas mis l'humain au centre de l'équation a sans doute terni l'image de la ville - l'urbanité - pour encore un long moment, et ces représentations risquent d'avoir la peau dure. Paradoxalement, le progrès et les idéologies qu'il a sécrétées sont rarement mises en cause de nos jours, on parle beaucoup de forme mais peu de fond. Attendons de voir ce que donnera sur la ville la mondialisation de l'économie, qui est aux dires de certains médias le progrès des progrès
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Correction @ Mynight
Le new town act est voté en 46 et proposé par Abercrombie, le concepteur du plan d'aménagement régional de Londres.
...s'inspirant d'Howard pour la forme urbaine des unités nouvelles...
Il y a également des choses intéressantes à dire à partir des réalisations artistiques.
A londres par exemple (peut être n'est ce que représentatif du glissement vers l'abstraction), ce qui ressort des peintures, c'est la maritimité, le pouvoir administratif (parlement) et le pouvoir religieux. Le parlement, St Paul et la tamise sont particulièrement utilisés. De même que les parcs et les activités portuaires.
Plus récemment, les oeuvres deviennent plus abstraites et la ville disparait dans le réseau, le carroyage, la multitude des couleurs...cf Tracy Emin entre autre.
Je retrouve pas la peinture de Emin...
j'ai trouvé quelques petits trucs qui s'en inspirent:
http://freespace.virgin.net/brian.elwel … three.html
Je ne connais pas d'artistes contemporains qui utilisent lla forme urbaine et l'image de Paris comme source d'inspiration. Si vous en connaissez, ce serait intéressant de voir comment la ville est interprétée.
Merci pour la précision, UrbaM, je ne connaissais pas ce fait.
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Ce que je ne comprends toujours pas c'est pourquoi avoir séparé l'habitat, des centres de vie et de travail(commerce, bar, théâtre, administration etc...)? Car même dans une banlieue classique (ex faubourg) les lieux de vie et de travail ou de rencontre sont intimement liés.
J'ai pas le sentiment en te lisant que l'idéologie progressiste est portée ce genre d'idées.
...Caen Capitale
On dit que l'urbanité, c'est le vivre ensemble. Le glissement des discussions sur la banlieue, la notion de frontière, montre qu'il y a bien un sujet à ce niveau dans la représentation de la ville (déjà on ne sait pas où elle s'arrête). Comment ne pas penser alors à ces jeunes qui choisissent la violence gratuite pour exister aux yeux des autres et y réussissent jusqu'à s'imposer et imposer leur territoire dans le débat politique ? la fracture urbaine, c'est le refus de la mixité. Quand il y a des ghettos, il y a des tensions. Quand ça éclate, ça change forcément l'image de la ville. Entre la tour eiffel et les voitures qui flambent dans les banlieues, quelle est l'image actuelle de Paris à l'étranger ?
Sur le sujet, j'avais posté quelque chose qui avait trait aux représentations lors du clash des banlieues. Je le recopie in extenso :
Sur ce forum, ce sujet brûlant n'a pas encore été abordé. Ce n'est pas il est vrai de son objet que de rentrer dans ce débat d’un point de vue politicien. Cependant, comme la problématique de la ville paraît être au coeur du débat, il me semble que finalement ce serait dommage de ne pas en parler, du moins d’un point de vue territorial.
Je peux vous livrer mon sentiment sur le sujet.
Quand on repense à l’histoire de la Ville en France, on voit qu’on est à la conjonction de deux phénomènes distincts : l’un est institutionnel, et touche de près la conformation de la strate communale et de tout ce que cela entraîne du point de vue du relais de l’Etat – de ses lois, des droits et des devoirs du citoyen - dans la quotidienneté de chacun.
L’autre est lié à la ville dans son sens urbain, à l’aménagement du territoire. On ne reviendra pas sur les besoins nécessaires de logement de l’après-guerre. Les ‘banlieues’ qui sont aujourd’hui mises en cause ont une longue histoire urbaine, liée aux diverses pressions démographiques et issues de l’immigration. A l’après-guerre, je rappelle que la plupart des logements des centres-villes ne possédait pas toujours l’eau courante, peu le gaz, encore moins l’électricité, jouissaient de WC collectifs, et utilisaient du chauffage au bois. Lorsqu’on a construit des HLM, à l’immédiat après-guerre, il fallait résorber une crise du logement sans précédent. Non seulement il s’agissait de reloger les gens dans certains centres détruits, mais de plus, la reconstruction offrait l’opportunité de revoir les normes. Une HLM était équipée de l’eau, du gaz, de l’électricité, du chauffage central, de vides ordures, d’une isolation thermique sans comparaison possible avec les ‘vieux’ logements, et l’urbanisme tenait toujours compte de l’ensoleillement. De plus, l’invention de la dalle était conçue comme étant la réhabilitation du forum à la romaine, un lieu de rencontre et de partage.
Le gigantisme était dû à l’urgence du relogement, et il n’était pas prévu que cela entraînerait la dilution de l’individu. Le gigantisme était au contraire une manière de centraliser les services, les supérettes étaient plein essor, les parkings montraient que chacun pouvait avoir désormais l’opportunité d’avoir une voiture (dans les années 60), les écoles, crèches, dispensaires sociaux poussaient comme des champignons, et les MJC de Malraux fleurissaient un peu partout. Les cités d’urgence (comme les cités Phoenix, par exemple) étaient conçues comme étant du provisoire, et étaient censées juguler les nombreux bidonvilles qui existaient un peu partout autour des centres urbains. Se voir attribuer une HLM était donc bel et bien non seulement un signe d’intégration sociale, n’en déplaise à certains, mais de plus, c’était même parfois une véritable promotion, surtout pour les familles nombreuses…
Comment en est-on arrivé à la situation actuelle, et la ville – au sens urbain – est-elle la principale responsable de cet état de fait, par rapport à la Ville – au sens institutionnel ?...
Le modèle urbain à la Française a semblé souffrir certes d’un effet de suture relativement inexistante. Suture urbaine, certes, avec la parcellisation de la ville non plus en quartiers et faubourgs, comme avant-guerre, mais en îlots. Mais aussi de suture institutionnelle : en France, l’institution ne fonctionne pas à l’échelon territorial, car on part du principe que l’institution est relayée à n’importe quel point du territoire. Chaque citoyen est censé posséder le même niveau de services, d’équipements, de droits et de devoirs en tout lieu. C’est là ce qui fait son identité au peuple Français. Chacun a les mêmes droits à l’éducation, à l’accès aux systèmes de soins, aux aides sociales, etc. mais a aussi les mêmes devoirs quant à l’impôt, au service militaire (à l’époque), etc. Dans cette optique, je pense qu’il est apparu que le problème du parcellaire était secondaire, puisque quelque notion que l’on ait de la ville, que l’on habite dans un centre, une périphérie ou une banlieue, l’institution était la même pour tous.
Le problème réside dans l’écart qui a pu se creuser entre les deux. Finalement, le milieu urbain a-t-il généré en premier lieu un certain niveau d’exclusion institutionnelle, ou est-ce qu’à l’inverse une certaine fracture institutionnelle a pu favoriser de l’exclusion urbaine ?
Y a-t-il eu un transfert de certaines classes sociales qui a fait que des flux internes à la ville ont tendu à remplacer les classes moyennes des banlieues par des classes défavorisées ? Peut-on penser qu’un effet d’îlotage s’est renforcé par les flux migratoires qui ont changé la donne d’un point de vue économique, la pauvreté se substituant à un niveau de vie moyen ? On pourrait le penser, puisque de nos jours certains prônent la mixité sociale comme remède dans ces quartiers. Cependant, je ne crois pas que les choses soient si simples. Le principe des zones franches va dans le même sens.
A une échelle territoriale, comment peut-on penser qu’un quartier puisse être un îlot isolé, alors qu’il est intégré dans un tissu urbain dense et continu ? Car après tout, si on y réfléchit, les banlieues ont toujours eu des spécialisations fonctionnelles, même bien avant la deuxième guerre. En France, les banlieues sont d’anciens villages, parfois même des hameaux ou des paroisses situées sur une voie de communication, qui ont été tout d’abord intégrées à la ville le long de ces voies (des ‘villes-rues’) jusqu’à devenir des ‘faubourgs’, ce mot signifiant bien ce qu’il veut dire. Le faubourg parisien n’a jamais été un lieu économiquement favorisé, et ce lieu avait une conformation urbaine hésitant entre campagne lointaine - et donc équipement sous favorisé concernant les équipements viaires – eau potable, eau usée, énergie – et quartier de ville ouvrière, puisque les usines se développaient en ces endroits, loin des centres-villes historiques, trop denses. La manufacture induisait un modèle de développement économique et territorial qui n’a jamais favorisé les couches populaires. Le faubourg est devenu banlieue quand il a été entièrement englobé dans la ville, mais néanmoins son aménagement reste organisé par une voie de communication (fleuve, voie ferrée, route) et la lecture urbaine qu’on peut en faire n’est en rien satisfaisante. Le centre de la banlieue reste autour de l’église séculaire, et le tissu urbain alentour est très peu précisément défini, les fonctions urbaines sont noyées autour de l’économique, et se définissent non plus en strates historiques, comme dans la ville centre, mais bien suivant les besoins de l’économique. Une grosse usine induit des logements ouvriers nombreux, des équipements dus à la démographie, et du ravitaillement, point final. Je ne crois pas que les familles aisées habitaient en 1850 à Clichy sous Bois…
Les ZUP n’ont été qu’un avatar supplémentaire de cette logique propre à la ville de banlieue. On peu considérer cette dernière comme un déversoir de tout ce qui n’est pas praticable dans la ville centre : l’ouvrier est politiquement incorrect, a les mains sales, n’a pas d’autre culture que populaire. Les flots d’immigration successifs n’ont pas changé la donne : les Polonais, les Italiens étaient souvent accueillis dans les banlieues (comme ma famille), et ils donnaient leur temps entre l’usine et la cellule familiale. Beaucoup ne venaient jamais à Paris, sinon dans les quartiers à leur portée financière. Les mêmes flux internes à la France se sont produits, la ruralité s’est réduite comme peau de chagrin, sachant qu’à l’après-guerre, les campagnes étaient dans une pauvreté crasse, n’avaient pas vécu de reconversion industrielle, et qu’il ne restait aux pauvres qu’à aller s’agglutiner là où on pouvait les loger, dans des grandes cités d’urgence…
Le modèle d’intégration sociale – ou institutionnelle – en France continuait pendant ce temps à fonctionner suivant son modèle républicain et Rousseauïste, de l’égalité contractuelle de chacun devant ses droits et ses devoirs. Et comme le relais communal était prédominant, personne ne pouvait se trouver exclu de ce système : école laïque ouverte à tous, droit de vote aux personnes naturalisées entre temps, droits et acquis sociaux, etc.
Cependant, il est loin d’être évident que la confortation urbaine de la banlieue est suivi la courbe des besoins économiques jusqu’au bout : le grain de sable au système urbain semble bien être le chômage, puisque la fonction de ce morceau de ville tournait tout entière autour du travail générant économie, reconnaissance sociale et institutionnelle. Sans fonction économique, qu’est-ce que la banlieue sinon une coquille vide ?
Des mouvements pendulaires sont devenus fondamentaux dans les années 70, en pleine crise pétrolière par ailleurs, et si Pompidou réclamait une ville entièrement dévouée aux automobiles, ce n’est pas un hasard. Les banlieues économiquement en faillite, prenant la crise de plein fouet, ont dû changer de fonction et ne sont devenu que des lieux de logement, tandis que le gisement économique se trouvait dans d’autres îlots encore plus éloignés (les zones industrielles sont une notion tardive, qui existaient en lointaine périphérie, et qui permettaient à la base de concentrer des industries suivant des bassins de sous-traitance cohérents, tandis que la problématique de la taxe professionnelle sans redistribution à l’échelon institutionnel avant la création de communautés de communes favorisait une disparité économique entre les communes). Pire encore, la reconversion économique de la France qui s’est tournée vers le tertiaire comme principale source de revenu, a vu les fonctions urbaines se déplacer dans la ville : le tertiaire est une activité ‘noble’, en tout cas antagoniste à l’image qu’on peut se faire de l’industrie. Les zones riches ont été confortées dans leur richesse, tandis que les zones pauvres ont loupé le train de la reconversion économique… Les zones dortoires, humaines au début, sont restées en l’état et se sont inadaptées au fur et à mesure que les autoroutes fleurissaient. L’aménagement n’a pas suivi, et pour trouver un nouveau travail, dans le tertiaire – un travail plus spécifique et plus qualifié que man½uvre dans une usine – il a fallu se déplacer de plus en plus loin…
L’institution n’a pas accentué cette reconversion du point de vue éducatif, ni du point de vue urbain. On a délaissé les banlieues industrielles pour aménager avec force moyens les banlieues tertiaires. Cela a dû entraîner une paupérisation accentuée… d’autant que la main d’½uvre, accueillie lors des époques de reconstruction et de grosses infrastructures (surtout dans les transports), n’a pas suivi de requalification. A une époque, en France, on s’est retrouvé avec une main d’½uvre sous ou mal qualifiée totalement inemployable, car inadaptée aux nouveaux besoins économiques.
Comme les banlieues étaient mal suturées avec le reste de la ville, le phénomène d’îlot n’a pu que s’accentuer, jusqu’à une certaine autarcie des fonctions urbaines. Un dortoir est un lieu sans autre fonction que le logement, et devant la progression démographique de ces îlots, l’aménagement n’a en aucun cas suivi. La crise a accentué également le fossé des richesses, et ma classe moyenne s’est retirée, parce qu’elle en avait les moyens, vers des lieux plus proches des gisements d’emploi dans le tertiaire. Pendant ce temps, nombre de banlieues connaissant la mono-industrie se sont retrouvées en faillite économique lors de la fermeture d’usines non reconverties, et donc, par là même, en faillite sociale.
L’institution n’a donc pas suivi le train de la reconversion territoriale, et est restée structurée jusqu’à fort tard comme dans les années 60. Cependant, la mise en place de nouveaux échelons structurels – comme les communautés urbaines, ou les villes nouvelles tout d’abord, dans les années 70-80 – a été due au constat que la ville ne pouvait fonctionner que multipolarisée, et que la redistribution des richesses ne pouvait s’obtenir qu’en faisant coller les institutions au territoire. Cela était une première volonté de l’institution à se plaquer sur le réel. Toutefois, il est à noter que cette nouvelle donne a sans doute été brouillée par la complexité de l’appareil de l’Etat, car ces nouvelles strates s’accumulaient, et se faisant s’éloignaient de plus en plus du citoyen lambda. D’une époque où l’on connaissait la nation relayée par le département, l’arrondissement – ou le canton - et la commune, on arrivait à une structure en mille-feuilles extrêmement complexe, brouillant à mon sens la mission institutionnelle de chacun. Etat, région, département, arrondissement, communauté d’agglomération, commune, mairie de quartier, école dépendant de la commune, collège du département, lycée de la région, CAF de dieu sait qui, le citoyen est noyé dans un manque total de visibilité des services, ses droits et ses devoirs se sont noyés dans une machine technocratique ne donnant l’impression d’exister que pour elle-même, au détriment de sa gestion du quotidien. Pendant ce temps, la banlieue et ses quartiers sont restés ancrés dans le réel et une certaine perception qu’on peut en avoir.
Lorsque la société française s’est convertie à la consommation de masse et aux médias à l’américaine, la donne a été entièrement redistribuée une fois de plus. Pendant que la plupart des gens voyaient une évolution sociale promettant une progression de plus en plus rapide grâce à la facilité semblant assumée comme telle de se repaître, les quartiers en ZUP restaient identiques à eux-mêmes, malgré deux ou trois coups de pinceau par-ci par-là. Les politiques de la ville successives, essayant de renouer l’institution au quotidien par l’entremise d’un nouveau concept, la « proximité », ont certes eu certaines conséquences favorables, mais qui restent bien en deçà de ce que tout un modèle social semble pouvoir proposer. J’ai eu l’impression d’assister à du palliatif, à des strates qui s’empilent les unes aux autres, sans réflexion de fond engagées sur les modèles urbains, sociaux et institutionnels que cela implique.
Puisque le chômage accentue la frustration et le phénomène d’îlot, pourquoi ne pas avoir changé les fonctions des quartiers qui étaient devenus seulement des machines à oisiveté, des ghettos ? Pourquoi n’avoir pas pris suffisamment tôt la mesure de ce paradoxe, consistant à laisser ces derniers systèmes urbains en inadéquation totale avec le réel ? Le problème de la ville, c’est qu’une décision prise maintenant reste au minimum pour les 30 ans à venir. Une solution adaptée à une époque ne l’est plus une génération plus tard. Elle l’est encore moins deux générations après. Hors, le quartier de banlieue tel qu’il résiste dans les grandes villes de France est obsolète, non parce que les normes phoniques ne sont plus au goût du jour, non parce que le jaune canard de 1970 est devenu criard à l’½il contemporain. Non parce que l’empilement vertical est une hérésie, ou encore la densité de population. Ce n’est pas ça le problème (voir Hong Kong, contre exemple manifeste). Le problème, c’est que le quartier de banlieue n’est plus adapté à notre modèle économique actuel – il n’a plus aucune fonction urbaine. Il n’est plus adapté à notre modèle social – l’école de la cité est-elle dans la cité, ou hors de la cité ?... – il n’est plus adapté à notre modèle urbain – le centre de la ville est irrémédiablement éloigné du quartier, et reste inaccessible, comme un îlot de richesse arrogant et intouchable. Il n’est plus adapté à grand-chose, à dire vrai…
Maintenant, l’habitant est tellement coupé du réel qu’on lui expose à la figure à longueur de temps, que cette autarcie chèrement réclamée par Le Corbusier est devenue totalement perverse. L’autarcie, c’est la concurrence avec l’institution. On a substitué un ordre à un autre, l’ordre institutionnel était tellement dilué dans ces îlots que ça n’a pas été difficile que de donner dans les commerces parallèles. Et ces commerces structurent la vie de la cité, cette économie est une question de survie. Ou du moins, paraît comme telle… elle est aussi illicite que le quartier est inadapté au réel. Mais tout cela est très logique, puisqu’un quartier sans fonction est invivable, et donc il a bien fallu rétablir un simulacre de fonctions économiques. Le feu aux poudres, à mon sens, a été la menace ouverte d’une institution décalée du réel de la cité, de mettre fin à cette unique source possible de revenus. C’est une menace de négation d’un nouvel ordre social et économique qui s’est instauré au fil du temps et qui est devenu un nouveau modus vivandi. Car effectivement, l’économie parallèle est un nouvel ordre social et économique, même s’il est une régression complète face à l’ordre. La zone dite de non droit n’est pas une zone d’anarchie, c’est une zone d’un droit différent qui s’est substitué à l’institution. Cette régression est un effet pervers de l’impuissance que l’institution peut avoir dans le fait de répondre au réel de chaque citoyen, en usant d’une échelle de valeurs aussi idéologiques qu’inadaptées au réel du terrain. L’institution doit reconnaître ses torts : le nouvel ordre social de la cité a été la seule réponse possible à sa démission, à sa non analyse de la situation urbaine. Avoir tout accentué vers la reconversion économique sans prendre en compte les structures inadaptées à cette reconversion a été sa plus grossière erreur.
Si la banlieue explose désormais, c’est que l’institution met en danger un système établi – qui est bien évidemment hors la loi, mais qui en attendant est établi quand même. On ne peut pas changer un ordre établi en une semaine, la France avait quarante ans pour éviter que ce système ne se mette en place et ne s’ancre. Maintenant, l’institution est trop éloignée du réel du terrain pour se rendre compte du choc que cela provoque. La banlieue est devenue un nouvel ordre social, en îlot, un ordre régressif et un ordre en opposition, un ordre par défaut. Le nier et donner dans la répression directe, c’est aller vers un aveuglement total, vers un nouveau genre de guerre civile opposant les tenants de l’ordre contre d’autres tenants d’un autre ordre. En France, à l’heure actuelle, les droits et les devoirs ne sont en effet plus les mêmes pour tous… Le pacte du contrat social est rompu par la réalité économique, et l’institution n’a pas analysé ce fait, par confort sans doute, mais aussi par refus et par dépit. L’institution est totalement incapable de se remettre en cause, car cette remise en cause serait une remise en cause même des institutions…
On pourrait rétablir l’ordre en banlieue en changeant complètement la banlieue même, en en redéfinissant avant toute chose les fonctions urbaines, et en remettant le citoyen au centre de l’institution. En réformant le système éducatif, pour qu’il s’adapte aux réalités économiques. En légalisant certaines pratiques qui court-circuiteraient bon nombre de trafics et de violences engendrées par l’économie souterraine (sans faire l’apologie du cannabis, évidemment). En réhabilitant non seulement l’habitat, mais surtout les services de proximité et en rapprochant les zones économiques attractives. En ouvrant le quartier à la ville et en en finissant une fois pour toute avec la logique d’îlot. Allons vers une logique tout d’abord de suture, finissons le travail commencé en 1947, allons au bout et assumons cette partie de territoire comme une parcelle intégrante de l’équation. Finissons-en avec les strates institutionnelles trop nombreuses, allons directement de la région à la communauté d’agglomération, l’échelon départemental, l’échelon municipal ne sont plus conformes à la réalité de la zone urbaine. La lecture globale du territoire demande que l’institution épouse totalement le monde tel qu’il est, et non tel qu’on continue à le voir par l’½il d’une tradition. Si l’institution collait au territorial, l’aménagement deviendrait sans doute cohérant… et les zones de non droit pourraient enfin être converties en zones de ville assumées et à nouveau institutionnalisées.
C’est l’institution qui devrait exister pour le territoire, et pas l’inverse.
La ville devrait exister pour ses habitants, également, et la seule piste de réflexion à envisager pour commencer devrait être celle-ci, puisque c’est bien de cela que découlent l’économique et le social : il n’y a pas d’institution sans citoyen, il n’y a pas de territoire urbain sans habitant.
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Allons-nous inévitablement vers l'explosion des Banlieues?
...Caen Capitale
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