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Gazette n°1771 - 03/01/2005 - 52
Urbanisme - La fin des conventions publiques d’aménagement
L'essentiel : Le droit européen s’impose Selon un arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 9 novembre 2004, la conclusion des conventions publiques d’aménagement doit respecter les règles fondamentales posées par le Traité de l’Union européenne et, à ce titre, être soumise à une procédure préalable de publicité et de transparence. Le non-respect des règles de concurrence entraîne la nullité des conventions en cours Le non-respect des règles de publicité et de transparence entraîne la nullité de la totalité des conventions en cours d’exécution. Cette nullité peut également rejaillir sur l’ensemble des actes d’exécution et qui portent essentiellement sur la mise en ½uvre par l’aménageur du droit de préemption et d’expropriation.
La décision de justice qui risque de sceller l’arrêt de mort de l’aménagement public à la française porte le nom d’une commune de la Réunion, perdue au fond d’un volcan (éteint), au bout d’une unique route montant du niveau de la mer à 2 000 mètres d’altitude, après plus de 470 virages : Cilaos. Une petite ville connue pour ses eaux, sa broderie, et maintenant pour la nullité de ses conventions publiques d’aménagement (CPA).
Les CPA (anciennes concessions d’aménagement) constituent l’un des supports des opérations foncières publiques d’équipement et d’aménagement. Elles sont la base juridique d’une immense partie de l’économie, dite mixte. Sans elles, des conséquences alarmantes sont déjà à craindre pour les opérations en cours. En effet, très récemment, le 9 novembre, la cour administrative d’appel de Bordeaux a, pour la première fois, jugé que, même si la convention publique d’aménagement, au sens des dispositions de l’article L.300-4 du Code de l’urbanisme, « n’entrait pas dans le champ d’application des dispositions de la loi n° 93-122 du 29 juin 1993, reprises aux articles L.1411-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales (CGCT), relatifs aux délégations de services publics, elle n’était pas pour autant exclue du champ d’application des règles fondamentales posées par le Traité de l’Union, qui soumettent l’ensemble des contrats conclus par les pouvoirs adjudicateurs aux obligations minimales de publicité et de transparence propres à assurer l’égalité d’accès à ces contrats » (1). La sentence est donc tombée : la conclusion des CPA doit respecter les règles fondamentales posées par le Traité et, à ce titre, être soumise à une procédure préalable de publicité et de transparence.
Les conséquences de cette jurisprudence, si elle est confirmée, sont simples : les CPA conclues sans formalités préalables de publicité et de transparence sont entachées de nullité (I). Aucune solution juridiquement valable ne semble, en l’état actuel du droit, permettre de régulariser cet état de nullité ; ce qui va obliger, désormais, les collectivités publiques à soumettre la conclusion des CPA à une procédure de mise en concurrence préalable (II). Les CPA seraient définitivement rentrées dans le rang, alors que, parallèlement, la Commission européenne a introduit un recours en manquement contre la France sur cette question, prétendant qu’elles constituent des concessions de travaux.
I. La nullité des CPA en cours d’exécution
La solution dégagée par la cour administrative d’appel de Bordeaux entraîne la nullité de la totalité des CPA en cours d’exécution, conclues sans procédure de mise en concurrence préalable (A). Cette nullité n’affecte pas uniquement l’acte contractuel, puisqu’elle risque de rejaillir sur l’ensemble des actes d’exécution pris en application de la CPA et qui portent essentiellement sur la mise en ½uvre par l’aménageur du droit de préemption et d’expropriation (B).
A. Les CPA conclues sans procédure préalable de publicité et de transparence sont entachées de nullité
Pour aboutir à une telle solution, la cour a adopté un raisonnement en plusieurs étapes. Tout d’abord, la juridiction administrative a constaté que les CPA ne constituent ni des conventions de délégation de service public, ni des marchés publics, ni des concessions de travaux. Il semble, donc, que la cour ait considéré que ces conventions constituent des contrats « sui generis » qui ne rentrent dans aucune catégorie préétablie. Toutefois, en dépit de cette nature « sui generis », le respect des règles du Traité de l’Union européenne exige que la conclusion des CPA soit soumise à des obligations minimales de publicité et de transparence. Dès lors, les CPA qui n’ont pas été conclues dans le respect de ces obligations sont irrémédiablement entachées de nullité.
1. Les CPA, conventions « sui generis »
Les CPA constituent des contrats administratifs. Tel est en l’état du droit positif, la seule certitude qui entoure leur nature juridique (2). La question de leur qualification exacte est plus complexe et fait l’objet de nombreuses discussions de doctrine.
Il est aisément admis que les CPA ne constituent pas des conventions de délégation de service public, puisque le quatrième alinéa de l’article L.300-4 du Code de l’urbanisme précise que la loi du 29 janvier 1993 (dite « loi Sapin ») ne leur est pas applicable. Il semble également que les CPA ne constituent pas, du moins en droit national, des marchés publics, dans la mesure où la rémunération de l’aménageur n’est pas constituée par un prix versé par la personne publique en contrepartie de l’exécution des prestations objets du contrat. La cour administrative d’appel de Bordeaux, dans l’arrêt commenté, a confirmé ce double état du droit en considérant que les CPA ne sont soumises ni à la loi « Sapin » ni au Code des marchés publics. L’assimilation des CPA à des concessions de travaux est plus problématique. La Commission européenne soutient en effet cette thèse en se fondant essentiellement sur les modalités de rémunération de l’aménageur qui, selon elle, résident essentiellement dans le droit d’exploiter un ouvrage public. Une telle interprétation du droit est discutable puisqu’il n’apparaît pas certain que « la notion d’exploitation » utilisée par le droit communautaire pour caractériser la concession de travaux recouvre les activités de location ou de vente d’immeubles réalisés par le titulaire d’une CPA La cour administrative d’appel de Bordeaux ne semble pas avoir suivi la voie tracée par la Commission européenne dans l’arrêt « Sodegis » puisqu’elle n’a pas considéré que la conclusion des CPA était soumise aux dispositions des directives communautaires, applicables aux marchés publics.
Il ressort donc de la lecture de l’arrêt « Sodegis » que les CPA ne constituent ni des conventions de délégation de service public, ni des marchés publics, ni des concessions de travaux. A contrario, la cour semble donc admettre que les CPA constituent des contrats « sui generis » qui ne rentrent dans aucune catégorie préétablie de conventions.
2. La soumission des CPA à des obligations minimales de publicité et de transparence
Les CPA, en dépit de leur nature « sui generis », sont soumises à une procédure préalable de publicité et de transparence. Pour aboutir à une telle solution « novatrice », il semble que la cour administrative d’appel de Bordeaux ait appliqué aux CPA les principes dégagés par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) dans l’arrêt « Teleaustria » (3). Dans cette espèce, la juridiction communautaire a posé en principe que la conclusion de certaines conventions, qui échappent pourtant au champ d’application des directives « marchés », est néanmoins soumise à une obligation générale de transparence inscrite dans le traité.
La cour administrative d’appel de Bordeaux a fait application de ce principe général en considérant que les règles fondamentales posées par le Traité de l’Union exigent que la conclusion des CPA soit soumise « à des obligations minimales de publicité et de transparence, propres à assurer l’égalité d’accès aux contrats ». Concrètement, bien que les CPA n’entrent pas dans le champ d’application des directives « marchés », elles demeurent soumises à une obligation préalable de transparence qui découle du principe d’interdiction de toute discrimination posée par le Traité de l’Union. La situation est, par conséquent, des plus paradoxales : les CPA demeurent des contrats « sui generis » dont la conclusion est pourtant soumise à des obligations minimales de publicité et de transparence issues directement des principes fondamentaux posés par le Traité de l’Union.
3. Les CPA dispensées de mise en concurrence préalable sont entachées de nullité
L’affirmation de cette solution « novatrice » n’est pas sans conséquence juridique. Il est, en effet, inutile de rappeler que les obligations de mise en concurrence qui encadrent la conclusion de certains contrats sont d’ordre public. La méconnaissance de ces obligations entache, par conséquent, de nullité le contrat conclu en violation de ces règles. La cour administrative d’appel de Bordeaux a parfaitement rappelé cet état du droit en considérant que, dans l’espèce qu’elle avait à juger, la CPA conclue par la commune de Cilaos avec la Sogedis, « sans aucune formalité préalable de publicité et de mise en concurrence, est […] entachée de nullité et ne confère aucun droit de nature contractuelle ». Cette nullité, non régularisable, affecte de nullité toutes les CPA qui ont été conclues sans aucune formalité de publicité préalable, c’est-à-dire, concrètement, la quasi-totalité des CPA conclues en France. Le choc est donc de taille.
B. Les risques juridiques engendrés par la nullité originelle de la CPA
L’article L.300-4 du Code de l’urbanisme prévoit que les conventions publiques d’aménagement permettent à la collectivité à l’origine d’une zone d’activité concertée (ZAC), de confier à un aménageur la compétence pour exproprier et/ou préempter à l’intérieur du périmètre de la ZAC. Sur la base de cette clause, les aménageurs exproprient ou préemptent afin de pouvoir réaliser les aménagements et programmes des équipements publics. Les terrains sont, finalement, soit conservés par l’aménageur, soit commercialisés.
La nullité originelle de la CPA est susceptible d’engendrer des nullités en cascade, puisqu’elle va rejaillir sur la déclaration d’utilité publique (DUP) et sur la décision de préempter dont l’illégalité va affecter les actes pris en application de ces deux dernières décisions.
1. L’annulation de l’arrêté de DUPou de la décision de préempter
Il est à craindre, dorénavant, qu’un requérant puisse se prévaloir de cet arrêt pour invoquer l’illégalité de l’arrêté de DUP ou de la décision de préempter en se fondant soit sur la théorie des opérations complexes, soit sur l’exception de nullité de la convention.
Ces deux théories reposent sur le principe selon lequel, à l’occasion d’un litige né de la contestation de la légalité d’un acte administratif, l’une des parties peut invoquer un moyen tiré de ce que cet acte est illégal comme reposant sur un acte lui-même illégal.
Elles se distinguent l’une de l’autre selon que l’acte sur la base duquel la décision attaquée a été prise est réglementaire ou non.
a) En application de la théorie des opérations complexes
La légalité d’un acte non réglementaire peut être remise en cause lors d’un contentieux à l’encontre d’une décision constituant avec l’acte non réglementaire contesté une même opération. Il y a opération complexe, lorsque : « Une décision finale ne peut être prise qu’après intervention d’une ou plusieurs décisions successives, spécialement prévues pour permettre la réalisation de l’opération dont la décision finale sera l’aboutissement. Et c’est alors qu’on sera fondé à constater l’existence d’une même opération administrative ou la réunion des éléments d’une même opération complexe » (4).
A titre d’exemple, en application de cette théorie, le juge administratif admet que puisse être invoquée l’illégalité de l’acte non réglementaire de la création d’une ZAC, à l’appui d’un recours dirigé contre la délibération approuvant la convention d’aménagement et autorisant le maire à la signer (5).
En revanche, les procédures périphériques de la procédure de ZAC, même si elles concourent à la réalisation de l’opération, ne forment pas avec cette dernière une opération complexe.
Il en est ainsi de la procédure d’expropriation. Par exemple, l’illégalité de l’acte de création de la ZAC ne peut être alléguée à l’appui d’un recours contre une décision déclarant d’utilité publique l’opération, en raison de l’indépendance des procédures de ZAC et d’expropriation (6).
Même si cette théorie est en réalité rarement accueillie par le juge administratif (7), on peut se demander s’il serait possible, lors d’un recours contre l’arrêté de DUP, d’appliquer la théorie des opérations complexes pour contester la clause de la convention publique d’aménagement donnant compétence à l’aménageur pour exproprier.
En réalité, il apparaît que la convention publique d’aménagement ne peut être considérée comme un acte non réglementaire et que, par conséquent, un requérant ne pourrait pas invoquer l’illégalité de la CPA et/ou d’une de ses clauses pour faire tomber l’arrêté de DUP ou la décision de préemption.
En outre, il importe de souligner que le Conseild’Etat a déjà eu l’occasion de rappeler que l’illégalité de l’acte de création d’une ZAC ne peut être alléguée à l’appui d’un recours contre une décision déclarant d’utilité publique l’opération en raison de l’indépendance des procédures de ZAC et d’expropriation (8).
Pour cette seconde raison, il ne semble pas que la théorie des opérations complexes puisse être appliquée pour retenir l’illégalité de l’arrêté de DUP ou de la décision de préempter. Néanmoins, il convient de faire preuve de prudence, dans la mesure où la théorie des opérations complexes n’est pas toujours mise en ½uvre avec la rigueur qu’implique sa définition.
Autrement dit, dans la mesure où la théorie des opérations complexes est une pure création prétorienne, rien ne permet d’affirmer que le simple fait que la DUP et la convention publique d’aménagement relèvent de deux législations différentes peut suffire à écarter l’application de la théorie des opérations complexes.
Il existe donc toujours un risque, celui que le juge ait une lecture moins stricte de « sa » propre théorie, comme il a pu le faire dans le passé pour des raisons d’opportunité.
b) En application de la théorie de l’exception de nullité du contrat
Il est parfois possible au tiers de faire tirer les conséquences de la nullité du contrat ou d’une clause réglementaire à l’occasion d’un recours contre un acte d’exécution du contrat dès lors que celui-ci est détachable du contrat.
En réalité, la théorie de l’exception de nullité du contrat est l’application à un contrat de la théorie de l’exception d’illégalité.
L’exception de nullité peut être invoquée par les parties au contrat, mais également par les tiers, alors même qu’ils ne disposent pas de l’action en nullité (9).
La cour administrative d’appel de Paris, dans un arrêt « Association pour l’information et la défense de l’environnement et de l’urbanisme » (10), a déclaré illégale une convention d’aménagement, lors d’un recours en annulation contre une délibération par laquelle le conseil municipal a désigné des constructeurs dans le cadre d’une ZAC, au motif que la décision de création de la ZAC avait été annulée.
Considérant que les tiers au contrat sont, en toute hypothèse, recevables à attaquer les actes d’exécution qui sont pris sur le fondement des clauses de conventions intervenues en application de l’article R.311-411 du Code de l’urbanisme, présentant un caractère réglementaire.
Ainsi, un tiers au contrat d’aménagement est recevable à attaquer les actes d’exécution qui sont pris sur le fondement des clauses réglementaires de la convention illégale.
Dans ces conditions, il semblerait que la clause qui pourrait être contestée lors d’un recours contre l’arrêté de DUP ou la décision de préemption est celle donnant compétence à l’aménageur pour acquérir les terrains situés dans la ZAC.
Dès lors, pour que l’arrêté de DUP, ou la décision de préempter, soit annulé en raison de l’illégalité de la convention, il faudrait que la clause donnant compétence à la société d’économie mixte pour exproprier ou préempter soit réglementaire, d’une part, et que la décision contestée soit un acte d’exécution détachable, d’autre part.
Déterminer si la décision contestée est un acte détachable, ne semble pas poser de difficulté. En revanche, il est plus délicat de se prononcer sur le caractère réglementaire ou contractuel de la clause de délégation de compétence.
Pour distinguer la clause réglementaire de la clause contractuelle, on peut reprendre la classification de Léon Duguit (12). Les clauses réglementaires sont les clauses des cahiers des jours qui se retrouveraient dans le règlement de la régie, si le service était exploité en régie. Sont, au contraire, contractuelles les clauses qui n’intéressent pas le public, mais seulement le concédant et le concessionnaire et qui seraient donc inconcevables dans une régie. Les clauses sont réglementaires si « elles ont été stipulées dans l’intérêt du public pour garantir certaines prestations » (13). Ce qui fait que, comme l’indiquent les auteurs du Traité des contrats : « la catégorie des clauses contractuelles est finalement assez réduite ; elle se limite, d’une part, aux garanties proprement financières assurées au concessionnaire [promesse d’avance, de subventions, garanties d’intérêt] ou autres garanties d’ordre divers, telles que, notamment, le privilège d’exclusivité quelquefois consenti par le concédant au concessionnaire ; d’autre part, à la durée de la concession, laquelle constitue du reste, elle aussi, une garantie reconnue au concessionnaire ».
A ce jour, il ne semble pas que le juge administratif ait déjà été amené à préciser si une clause transférant la compétence pour exproprier ou préempter dans le cadre d’une convention publique d’aménagement est réglementaire (14). Dès lors, si le juge administratif venait à valider cette interprétation, l’arrêté de DUP et la décision de préempter encourraient un fort risque d’annulation ou de déclaration d’illégalité.
2. Les conséquences de l’annulation de l’arrêté de DUP ou de la décision de préemptera) Les conséquences catastrophiques sur la procédure d’expropriation
Sur les actes administratifs de la procédure d’expropriation
L’annulation de la DUP prive ainsi de base légale les autres actes de la phase administrative de la procédure d’expropriation : arrêté de prorogation de la DUP et arrêté de cessibilité (15).
Dès lors, si l’arrêté de prorogation de la DUP ou l’arrêté de cessibilité sont attaqués, l’annulation de l’arrêté de DUP pourra être soulevée par la voie de l’exception d’illégalité pour en obtenir l’annulation (16). Dans l’hypothèse où l’arrêté de cessibilité n’est pas encore intervenu, celui-ci ne pourra plus intervenir.
Sur les cessions amiables intervenues après l’arrêté de DUP
Le Conseil d’Etat (17) et la Cour de cassation (18) ont une approche différente des conséquences de l’annulation de la DUP sur les cessions amiables de terrains intervenues après l’arrêté de DUP.
Dès lors, les conséquences de l’annulation d’une DUP sur les cessions amiables dépendent principalement de la juridiction saisie.
En tout état de cause, le risque d’annulation des cessions amiables existe, ceci d’autant plus que la Cour de cassation s’est prononcée après le Conseil d’Etat, qui pourrait très bien revoir sa position pour calquer sa jurisprudence sur celle de la Cour de cassation.
Sur les actes judiciaires de la procédure d’expropriation
Sur l’ordonnance d’expropriation
Dans l’hypothèse où l’ordonnance n’est pas encore rendue, le juge ne peut plus la prendre. En effet, celle-ci manque de base légale et la procédure se trouve interrompue (19).
Lorsqu’elle est rendue et qu’elle fait l’objet d’un pourvoi, l’annulation de la DUP peut être invoquée, à condition que le pourvoi n’ait pas encore été jugé et, surtout, qu’il comporte déjà un moyen tendant à l’annulation de l’ordonnance (20). C’est pourquoi, la Cour de cassation adopte désormais une attitude bienveillante. Les dossiers font l’objet d’une ordonnance de retrait du rôle, ils sont conservés au greffe des arrêts, et il appartient aux intéressés de demander le rétablissement du rôle lorsque la décision administrative est devenue définitive (21).
Il convient par ailleurs de préciser que l’annulation de l’ordonnance rend irrégulière la prise de possession et que des dommages et intérêts sont susceptibles d’être alloués dans ce cas par le juge de droit commun (22). En revanche, l’annulation par le juge administratif d’une DUP est dépourvue d’effet si l’ordonnance portant transfert de propriété est devenue définitive faute de pourvoi ou en cas de pourvoi jugé irrecevable ou non fondé (23).
Dans la mesure où l’ordonnance d’expropriation conserve toute sa validité, le juge judiciaire de droit commun n’a pas qualité pour réparer les conséquences d’une emprise qui n’est pas à proprement parler irrégulière, et les anciens propriétaires, à défaut d’action en rétrocession, n’ont que la possibilité de demander au juge de l’expropriation un complément d’indemnité (24).
Néanmoins, l’article L.12-5 du Code de l’expropriation, alinéa 2, prévoit qu’« En cas d’annulation par une décision définitive de la DUP ou de l’arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge de l’expropriation que l’ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale » (25).
Cet article suscite toutefois quelques interrogations, notamment à propos du délai de saisine du juge puisque la loi ne l’a pas précisé et qu’aucun décret n’est prévu pour son application. Par conséquent, il existe pour le bénéficiaire de l’expropriation une insécurité juridique permanente.
Sur la procédure de fixation de l’indemnité
Si l’annulation de la DUP entraîne l’annulation de l’ordonnance d’expropriation, elle entraînera également l’annulation des décisions rendues pour la fixation des indemnités. En revanche, si l’ordonnance d’expropriation est devenue irrévocable, faute de pourvoi, l’annulation de la DUP est sans effet sur la fixation des indemnités (26). Cependant, les expropriés pourront obtenir un complément d’indemnité si le bien a été sous-évalué.
b) Les conséquences sur la procédurede préemption
Dans l’hypothèse où la décision de la préemption de la SEM serait annulée, en raison de l’illégalité de la clause lui déléguant cette compétence, les conséquences, même si elles sont moindres en raison du caractère ponctuel de la procédure, seraient également catastrophiques.
Depuis l’arrêt « Bour » (27), le titulaire du droit de préemption, s’il n’a pas entre-temps cédé le bien illégalement préempté, doit prendre toute mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée.
Il lui appartient dès lors de s’abstenir de revendre à un tiers le bien illégalement préempté. Il doit proposer à l’acquéreur évincé puis, le cas échéant, au propriétaire initial d’acquérir le bien et ce, à un prix visant à rétablir autant que possible et sans enrichissement sans cause de l’une quelconque des parties les conditions de la transaction à laquelle l’exercice du droit de préemption a fait obstacle.
Par conséquent, si la décision de préemption est annulée et que la SEM est toujours propriétaire du bien, elle devra le proposer à l’acquéreur ou au vendeur. Il n’est donc plus nécessaire dorénavant de saisir le juge du contrat pour faire annuler la vente.
Ce n’est que si le bien a été revendu entre-temps, que la saisine du juge du contrat sera nécessaire pour faire annuler la vente, la juridiction administrative étant incompétente pour prescrire des mesures tendant à la remise en cause de la revente du bien.
Par conséquent, indéniablement l’annulation de la décision de préemption obligera la SEM à proposer le bien préempté à l’acquéreur évincé ou, à défaut, au vendeur.
Et, dans l’hypothèse où celui-ci aura été revendu, il sera nécessaire que l’une des parties ou l’acquéreur évincé (28) saisisse le juge du contrat pour que la vente soit annulée.
II. Quel avenir pour les CPA ?
On l’aura compris, les conséquences de l’arrêt « Sodegis » sur les opérations d’aménagement en cours ou futures sont des plus importantes. Les CPA en cours d’exécution dispensés de mise en concurrence préalable semblent condamnés, dans la mesure où leur nullité originelle ne peut qu’être exceptionnellement régularisée (A). Pour l’avenir, les collectivités publiques doivent tirer toutes les conséquences de cette jurisprudence et de la pression exercée par la Commission européenne, en soumettant la conclusion de la CPA à des obligations minimales de publicité et de transparence (B).
A. Aucun sursis pour les CPA en cours d’exécution
Les CPA en cours d’exécution sont les principales « victimes » de la jurisprudence « Sodegis », dans la mesure où aucune solution juridiquement solide ne permet de redonner une base légale stable à ces opérations d’aménagement.
1. La voie de la régularisation par délibération est à exclure
Afin de contrer l’éventuelle répercussion de la nullité de la CPA sur les opérations d’acquisitions immobilières réalisées par l’aménageur, la collectivité publique peut envisager d’adopter une délibération donnant compétence audit aménageur pour acquérir les terrains. Une telle solution est à exclure, puisque la rédaction de l’article L.300-4 sous-entend que la délégation de compétence pour acquérir les terrains n’est possible que si une convention est signée entre la collectivité et l’aménageur (29).
2. Le recours à la loi de validation
La validation législative, qui a un effet rétroactif, permet de libérer l’administration de l’obligation d’exécuter les décisions de justice rendues en matière d’annulation pour excès de pouvoir. La chose jugée est alors privée de conséquences. Cette technique permet ainsi d’éviter que l’exécution de certaines décisions d’annulation ne crée de très sérieuses difficultés pour les personnes publiques concernées.
On peut se demander si une telle loi ne permettrait pas de valider pour l’avenir les CPA déjà conclues, et ainsi éviter leur annulation et les conséquences qui s’ensuivraient. Le recours à cette solution législative n’est que d’un simple secours, puisque la loi de validation, en ce qu’elle permet à certaines CPA d’échapper aux règles posées par le Traité de l’Union, demeurerait contraire au droit communautaire. Dès lors, à l’occasion de tout contentieux, l’application de la loi de validation serait écartée au profit des règles fondamentales posées par le Traité, et la nullité de la CPA de nouveau affirmée.
3. Le recours à la théorie des prestations « in house »
La Cour de justice des communautés européennes, saisie de questions préjudicielles des Etats membres relatives au champ d’application des directives, a progressivement dégagé les contours de la notion de « prestations in house » pour exclure certaines prestations du champ d’application des obligations de publicité et de mise en concurrence prévues par les directives « marchés » (30).
Cette dérogation aux obligations de mise en concurrence a été transposée, en droit national, par l’article 3-1 du Code des marchés publics.
Cette dernière disposition du Code des marchés publics soumet le recours à cette dérogation à trois conditions cumulatives. La personne publique doit, tout d’abord, exercer sur la personne en cause un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services. Le prestataire doit, ensuite, réaliser l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent. Enfin, ledit prestataire doit appliquer, pour répondre à ses besoins propres, les règles de passation définies par le Code des marchés publics.
Les collectivités pourraient être tentées d’utiliser cette théorie pour justifier l’absence de mise en concurrence préalable de la CPA. Toutefois, la mise en ½uvre de cette justification suppose que les trois conditions drastiques posées par l’article 3-1 du Code des marchés publiques soient remplies. Or, force est de reconnaître que, dans la majorité des cas, ces trois conditions ne seront pas remplies cumulativement. Concrètement, cette méthode de régularisation ne peut concerner que la seule hypothèse d’une CPA confiée par une collectivité publique à une SEM dont elle est « l’actionnaire unique » et qui n’assure des missions d’aménagement qu’au seul profit de sa collectivité « mère ». En outre, la mise en ½uvre suppose que la SEM ait appliqué, dès la conclusion de la CPA litigieuse, le Code des marchés publics pour répondre à ses besoins. Cette « bouée de sauvetage » ne couvrira donc que des cas exceptionnels.
B. L’avenir : des CPA soumises à mise en concurrence préalable
La sécurité juridique commande, bien entendu, aux collectivités publiques de tirer toutes les conséquences de la jurisprudence « Sodegis » et de la position adoptée par la Commission européenne en soumettant la conclusion des CPA à une procédure de mise en concurrence préalable.
Ni la cour administrative d’appel de Bordeaux dans l’arrêt « Sodegis », ni la CJCE dans l’arrêt « Teleaustria » (31) n’ont précisé l’étendue des obligations minimales de publicité et de transparence qui trouvent à s’appliquer aux conventions, telles que les CPA, qui n’entrent pas dans le champ d’application des directives, mais qui sont soumises aux principes fondamentaux définis par le Traité.
Les conclusions de l’avocat général Fennelly (32) sont éclairantes puisqu’elles précisent que « la publicité ne doit pas être nécessairement assimilée à une publication ». Il semble, toutefois, que l’obligation de transparence suppose qu’il y ait, pour le moins, consultation de plusieurs candidats. Compte tenu du recours en manquement de la Commission contre la France devant la CJCE, la prudence juridique commande aux personnes publiques d’aller plus loin et de soumettre la conclusion de leurs CPA aux règles de mise en concurrence applicables aux concessions de travaux publics (définies au titre III de la directive n° 2004/18/CEE32 du 31 mars 2004). Ces règles de mise en concurrence ne sont pas trop contraignantes pour les collectivités publiques, puisqu’elles supposent uniquement la publication d’un avis de publicité et le respect d’un délai de cinquante-deux jours entre l’envoi de la publicité et la réception des candidatures. A l’issue de cette phase de sélection des candidatures, la personne demeure libre d’entamer des négociations avec les candidats de son choix.
Références
Article L.300-4 du Code de l’urbanisme.
Article L.1411-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales.
Une analyse de Karelle DIOT, avocat à la Courcabinet de Castelnau
(1) CAA de Bordeaux, 9 novembre 2004, « Sodegis c/commune de Cilaos », req. n° 01BX00381. (2) CE, 23 novembre 1935, « Chouard », Rec. p. 1080. (3) CJCE (6e chambre), 7 décembre 2000, « Teleaustria Verlags Grmbh, Telefonadress Gmbh et TeleKom Austria » AG, C 324/98, BJDCP 2001, p. 132, concl. Fennelly. (4) « Droit du contentieux administratif », René Chapus, Montchrestien, 10e édition, p. 633, n° 781. (5) CE, 26 mars 1999, req n° 185841, rec CE, BJDU 2/99, p. 141. (6) CE, 14 mars 1979, « Denu », req n° 50136, JurisClasseur, fasc. 160, n° 89. (7) Celui-ci consent à déceler une telle opération seulement si deux critères sont réunis (JurisClasseur, fasc. 160, n° 89) : « d’une part, une opération complexe nécessite un lien entre la décision finale et les décisions qui la précèdent et que leurs illégalités respectives apparaissent comme indissociables ; d’autre part, les décisions antérieures, dont on excipera, ne doivent pas apparaître aux yeux des administrés comme susceptibles d’un recours contentieux, donc comme leur faisant grief. En outre, la théorie des opérations complexes ne trouve à s’appliquer que si l’acte sur la base duquel la décision contestée a été prise est non réglementaire ». La doctrine (« Les actes non réglementaires », AJDA, 20 janvier 1980, p. 3) tend à poser deux critères s’agissant de cette catégorie d’acte : ce sont des actes qui ne sauraient créer de véritables normes, ils se borneraient à faire application d’une norme préétablie, ils seraient également sans destinataire direct ou désigné. (8) CE 14 mars 1979 « Denu », req. 5013. (9) « Droit des contrats administratifs », L. Richer, LGDJ, 3e édition n° 265, p. 190. (10) CAA Paris, 29 mars 1993, « Association pour l’information et la défense de l’environnement et de l’urbanisme », n° 92PA01028. (11) L’article R.311-4 du Code de l’urbanisme correspond à l’article L.300-4 actuel. (12) Léon Duguit (1859-1928), théoricien du droit. (13) Concl. Bonichot sur CE 23 juillet 1986, « Divier », AJDA 1986, p. 585 ; Concl. Teissier sur CE 15 novembre 1907, « Poirier », Rec. CE p. 821. (14) Toutefois, le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion dans un arrêt du 3 mai 2002 « Commune de Laveyron » (CE 3 mai 2002, n° 217654) de préciser qu’un arrêté qui prononce un transfert de compétence à un EPCI a un caractère réglementaire (Conclusions commissaire du gouvernement Austry, BJCL juillet/août 2002 p. 198). (15) CE, 14 janvier 1994, « Maubleu et autres », req. n° 94466, 119288, 119619. (16) CE, 15 décembre 1997, « Costes », req. n° 138772. (17) CE 2 juillet 1975 « Bizière », Rec. CE p. 397 : selon le CE, l’annulation de la DUP n’entraîne pas l’annulation de l’acte amiable. (18) A l’inverse, Cass. 4 juin 1980. (19) Cass. 3e civ, 3 mai 1977, pourvoi n° 7670125, 75 70446. (20) Cass. 3e civ., 10 juillet 1978, Bull. civ. III, n° 292, p. 224 ; Cass. 3e. civ., 4 février 1987, Bull. Civ. III, n° 18 ; Cass. 3e civ. 2 décembre 1987, n° 2077D. (21) « La Cour de cassation et l’expropriation », Liane Cobert, AJPI, juin 1992, p. 438. (22) Cass. 3e civ., 22 mars 1989, AJPI 1989, p. 632 ; Cass. 3e civ., 16 octobre 1991, n° 1440D. (23) Cass. 3e civ., 14 décembre 1982, Bull. civ. III, n° 250, p. 187 ; Cass. 3e civ., 28 mars 1990, AJPI 1990, p. 619. (24) Tribunal des conflits, 26 juin 1989, Rec 89, p. 294, D.1991, 57. (26) Cass. 3e civ., 23 mars 1983 « Legendre » ; Cass. 3e civ., 6 novembre 1991, n° 90-70.303. (27) CE 26 février 2003 « M. et Mme Bour », n° 231.558. (28) Cass. 3e civ., 21 novembre 2002 « Commune de Courseulles-sur-Mer c/SARL Boutin Marine », JCP 2003 G, I, 122 p. 556. (29) Sur ce point, lire « L’urbanisme et les collectivités locales », tome 3, P. Hocreitère, fasc. 2.3, n° 6. (30) CJCE, 18 novembre 1998, « Teckal », C-107-98, Rec. 1999 p. I-8121 (31) Cf. note 3. (32) Cf. note 3.
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