Bernard Tschumi

Le Temps (Suisse)   (Extraits)
http://www.letemps.ch/template/transmet … cle=171273

L'architecte qui gagne la planète
   
   
Entre Lausanne et New York, Bernard Tschumi a réfléchi longtemps au métier de son père. Puis il a dessiné. Ça n'en finit pas.
   
       
   
Alain Campiotti, New York
Samedi 7 janvier 2006
   
La Tour Bleue commence à sortir de terre, dans le Lower East Side de Manhattan, entre Essex et Norfolk streets. Un grand panneau montre ce qui naît là: au milieu de ce quartier de maisons basses, un immeuble de 16 étages, aux lignes incurvées, pixélisé en bleus, qui va changer le skyline new-yorkais. Sur l'autre trottoir de Norfolk, dans un petit bureau, une jeune femme aux cheveux ras sous sa casquette accueille les visiteurs qui achèteront peut-être – cher – un appartement dans la première enveloppe (il aime ce mot) d'habitation jamais dessinée par Bernard Tschumi.

(...)

Ici, c'est la base: 227 West 17th Street, au cœur de Chelsea. Bernard Tschumi vit au 6e étage, dans un espace identique à celui de l'atelier, qu'il a aménagé en 1988 en un loft sophistiqué, blanc et noir, tout en longueur aussi, pour sa femme Kate Linker, critique d'art, Ariane, 21 ans, qui étudie l'histoire des sciences à Harvard, et Alex, lycéen de 16 ans.

Le boulevard de Grancy est très loin. Au milieu du siècle dernier, la famille Tschumi s'était installée sous-gare à Lausanne, venant de Paris, quand Bernard avait 10 ans. L'architecture, pour lui, c'était les chantiers. Il les visitait avec son père, Jean, rentré en Suisse pour une courte carrière fulgurante: le siège de Nestlé à Vevey, celui d'André, de la Mutuelle vaudoise, à Lausanne, un étonnant silo à Renens. Devient-on architecte parce que son père l'était? Le fils a fait un long détour avant de signer sa première œuvre – retour à Paris – qui a d'emblée imposé son nom, le parc de La Villette.

Minneapolis, il y a quarante-cinq ans, ce n'était pas un rêve d'adolescent. Bernard Tschumi, débarqué dans ce nord industriel avec une bourse, n'y est pas resté. Il a fini son séjour dans la cité qu'il attendait: New York. Mais entre-temps, il s'était arrêté à Chicago, pour une semaine. Le choc: découverte et fascination devant la ville des vents, dense, active, belle. C'est là qu'il a décidé de devenir architecte. Avant cette révélation, il avait dans la tête – inspiration de sa mère – la littérature et le cinéma. Son père est mort un mois après. Le fils avait 18 ans.

(...)

La Suisse? Un passeport... «Je n'ai rien contre elle. Je suis Français et Suisse, mais ni de France ni de Suisse. Je n'ai à l'égard d'aucun pays cette fibre nationale. La vie que j'ai choisie veut éviter ces attachements. Et je serais un mauvais Américain, si je l'étais.» En fait, il est de l'entre-deux, dans la communication. «Un ami me disait: moi, je prends un psy; toi, tu prends l'avion...»

Un objet, pourtant, qui le rattacherait à la Suisse? Il réfléchit, et coupe court, en riant: «Un couteau, peut-être!» La seule référence helvétique qui sort de sa bouche, c'est Roger Federer. «Sa famille à lui, c'est une poignée de joueurs qu'il rencontre souvent. Moi aussi, je suis en compétition amicale constante avec Jean Nouvel, Zaha Hadid, Rem Koolhaas, Peter Eisenman... C'est mon réseau.»
   
       
© Le Temps, 2006 .