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Rome : une stratification urbaine inédite

Par Boris_F, le 09/08/2009 à 14:08

Il est souvent dit que Paris est une ville-musée, sous-entendu qu'une balade dans Paris vaut une bonne machine à remonter le temps et que la ville, figée dans les siècles, peine à franchir le pas de la contemporanéité. Souvent, on compare Paris à Londres, à New York, à Shanghai ou à Berlin, et on considère que Paris n'ose guère se reconstruire sur elle-même et afficher, avec un rien d'arrogance, les signaux urbains de sa modernité.
Pour autant, beaucoup plus que Paris, c'est Rome qui semble véritablement montrer ce qu'est une ville-musée. Et ceci est bien paradoxal. En effet, plus qu'une simple capitale administrative, Rome a été des siècles durant la capitale de tout le monde connu. C'était, dans l'antiquité, le modèle de la ville-monde par excellence, on l'appelait d'ailleurs "Urbs" ou encore "Caput Mundi", "Capitale du Monde". De l'antiquité à nos jours, Rome montre toujours 3000 ans d'histoire urbaine ; dans peu d'autres villes on peut voir avec tant d'évidence les stratifications de la ville sur elle-même.
Ainsi, caractériser une véritable ville-musée semble se confondre avec la lecture des strates de la ville. Et nous allons voir que si cette acception caractérise Rome avec force, elle définit difficilement une ville comme Paris.

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Rome depuis le Pincio, vue vers le sud-ouest



Ce qui frappe face à l'agglomération romaine (4,3 millions d'habitants dans l'agglomération, 2,7 dans la ville intra-muros sur 1285 km²), c'est avant tout la manière dont la ville s'étale sans pour autant offrir d'autres signaux visuels que les dômes de ses très nombreuses et souvent fastueuses églises. Si la banlieue romaine montre une litanie de blocs souvent calibrés d'une manière identique et monotone, rien ne semble véritablement dépasser du paysage sinon cette mer de toits de tuiles et d'antennes de télévision.

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Banlieue est, contre la Via Prenestina

Les voies de communication semblent établies là de manière multiséculaire, et la structuration des voies pénétrantes, au-delà du Grande Raccordo Anulare (le périphérique local datant des années 60 avec ses 64 kilomètres de circonférence) sont excessivement lisibles. Le plan global de Rome montre d'ailleurs 35 quartiers urbains, outre le centre lui-même divisé en 22 régions (les "rioni").

Ce centre historique est peu ou prou structuré, outre par le fleuve local, le Tibre, par sept fameuses collines dont la plus célèbre, le mont Palatin, a été immortalisée entre autres par Joachim du Bellay.

Dans cette aire subsistent de très nombreux vestiges de la ville antique.

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Vue du Colysée dans la trame urbaine

Pour autant, ces vestiges sont englobés dans une stratification qui semble s'être reconstruite sur elle-même au fil du temps, et si certaines aires antiques sont totalement délimitées (le forum romain, par exemple), d'autres sont totalement noyées dans la masse.

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Fori Imperiali et stratification urbaine

Cette particularité romaine montre dès lors les strates de la ville avec beaucoup d'évidence. On y voit, dans un certain désordre apparent, les époques antiques, certes, mais aussi la Renaissance avec ses églises caractéristiques souvent influencées par le Quattrocento, puis le baroquisme ayant conformé les grandes places de la ville qui structurent la trame urbaine, puis le néoclassicisme plus tardif et parfois réinvesti par l'architecture mussolinienne.

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Monument à Victor-Emmanuel II (Altare della Patria)

Pour autant, il est intéressant de constater que la conformation de la ville, outre la parenthèse chrétienne qui reste prégnante - et encore... -, n'a jamais tiré un trait sur le classicisme fondateur d'un point de vue architectural qui semble à dire vrai largement inspirer, voire englober, tous les autres mouvements.

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Rome depuis le Janicule, vue vers l'est

Ainsi, si la ville s'est reconstruite sur elle-même au fil du temps, elle a su intégrer son épaisseur historique dans un jeu d'influences tout à fait fondamental, qui crée une unité non seulement visuelle au tout, mais aussi culturelle.

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Tunnel contre le Quirinal

Ceci dit, si la ville semble encore aujourd'hui, dans son aire historique, être un patchwork très abouti des courants qui l'ont fondée, il apparaît qu'au fil du temps, cette unité classique n'ait guère pu être dépassée afin d'englober la contemporanéité. 

En effet, l'Histoire semble de manière prégnante conformer la stratification urbaine, jusqu'à affleurer au moindre carrefour, sur la moindre place. Cette sauvegarde du sol antique et de cette gloire passée est devenue emblématique de Rome, qui arbore fièrement sur la moindre plaque d'égouts le fameux "SPQR", "Senatus Populus Que Romanus", "Le Sénat et le Peuple de Rome". Plus largement, les fouilles publiques - elles peuvent être privées et sont obligatoires avant la moindre nouvelle construction - sont théâtralisées et deviennent un thème récurrent dans toute la ville.

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Largo de Torre Argentina

C'est dire combien l'antiquité devient, au-delà d'un emblème évident, un véritable mythe commun à la romanité, et donc à un modèle urbain à part entière. Il ne s'agit plus d'une simple sauvegarde patrimoniale, mais plus, d'un sens de la ville dans son acception forte du terme. Les époques qui ont conformé la ville au fur et à mesure se sont profondément enracinées dans la "Caput Mundi" qui donne signification au tout, et seule la chrétienté a tenté de conformer une image inédite et intemporelle -par force - à Rome.

Pour autant, le classicisme était toujours en arrière plan dans la lecture architecturale chrétienne, et si à Rome les dômes et les coupoles ne manquent pas, toutes résonnent avec celle, fantastique, du Panthéon. Les façades arborent nombre colonnes de marbre, à l'image des temples païens. Ces références sont extrêmement nombreuses et demanderaient à elles seules un volumineux article...

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Via Santa Maria Maggiore

Ce classicisme, dans sa matière mythologique, rejaillit directement dans la lecture du baroquisme qui a été effectuée par les Maîtres de l'époque, qui ont comme le Bernin conformé au XVIIème siècle nombre de places classiques, comme la place Navona ou la très enclavée fontaine de Trévi.

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Place navona

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Fontaine de Trevi

Toujours les symboles visuels des obélisques égyptiens rapportés ici dans les grands moments de gloire sont plantés sur les places importantes, pour rappeler la domination du monde romain sur le reste de l'univers, et certains papes eux-mêmes décidèrent d'ériger des obélisques sur les parvis de plusieurs églises majeures.

Cette domination symbolique du classicisme sur toutes les autres ères se retrouve dans les bâtiments les plus contemporains. Le quartier d'EUR, au sud de la ville, sur les lieux de l'exposition universelle de Rome, a servi de laboratoire au mussolinisme pour réinvestir le classicisme dans la modernité, ce qui offre une vision de l'urbanisme monotone et grandiloquente, maniérée et très rationnelle. Pourtant, cette relecture intègre en son sein les ferments de la romanité, et n'offre donc guère de rupture avec le passé.

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Bâtiment néoclassique mussolinien

Dans cette optique, Rome a tout de même dû s'adapter aux exigences de la contemporanéité, en tentant de dépasser le paradoxe de l'antiquité et du classicisme afin de transformer ses fonctions urbaines selon les exigences du temps actuel, dans sa logique de reconstruction sur elle-même.

Si évidemment peu de bâtiments contemporains ont pu affleurer dans Rome pour les raisons évoquées plus haut, ce sont les transports qui ont semblé offrir le plus de problèmes à résoudre.

Il est intéressant de voir que le sol reste une valeur fondamentale dans l'urbanisme romain. Les grandes pénétrantes sont d'ailleurs hors-sol, comme la Via Prenestina.

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Quartier Tiburtina

Les rues pavées sont souvent équipées de rails pour des tramways antédiluviens, dont les tracés serpentent parmi les antiques portes de la ville.

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Tram franchissant la Porta Maggiore

Ces rails d'une autre époque semblent avoir été aménagés pour une fois en se fondant sur des nécessités fonctionnelles allant au-delà des mythes d'un quelconque classicisme fondateur, et ils font désormais partie intégrante du paysage.

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Tram vers Termini

Mais l'échec de Rome est sans doute de n'avoir pas réussi à s'adapter à des transports modernes. En effet, l'emprise des transports est très forte et tranche nettement avec l'environnement, dans une intégration, outre les trams, très peu réussie.

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Piazza della Porta Maggiore

C'est ici donc que le fonctionnel - et que le réel ! - dépassent le mythe et que Rome reste de nos jours assujettie à d'énormes problèmes de circulation. Le musée est envahi par les nécessités du temps. Et les deux lignes de métro, creusées ô sacrilège au coeur d'une terre si dense en histoire, ont été extrêmement retardées par les fouilles archéologiques. Il est actuellement excessivement complexe de prévoir d'autres lignes de métro, dans cette agglomération de 4,3 millions d'habitants, à cause d'une épaisseur historique insurpassable.

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Métro, ligne 1 à Repubblica

Pour autant, ce que Rome ne montre pas, c'est sans doute surtout ce qui se passe à l'intérieur de ses édifices, cette intériorité si bien cachée à l'oeil extérieur, comme le montrent un nombre impressionnant de bâtiments aux fenêtres factices, ce qui est tout un symbole.

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Quartier Santa Croce in Gerusalemme

La conformation urbaine de Rome est sans doute issue de cette si riche intériorité, et la fierté de cette richesse ne semble s'exprimer souvent à l'oeil que des initiés.

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Musée vatican

C'est dire si Rome est sans doute une ville-musée parce qu'il ne pouvait en être autrement, tellement il est impossible d'aménager 3000 ans d'histoire qui sont devenus un mythe urbain complexe et difficile à saisir, même si toujours il est bien là. Rome est une ville qui s'est reconstruite sur elle-même sans jamais se renier, et s'est assumée comme ce qu'elle a été jusqu'à aujourd'hui, même si de cela résulte une ville peu adaptée à la contemporanéité.

On ne peut certes pas en dire autant d'autres villes comme Paris par exemple, que l'on affuble souvent du qualificatif de "ville-musée" sans réfléchir réellement à ce que cela implique véritablement du point de vue de sa lecture urbaine.

Si Rome est une ville-musée, c'est parce qu'elle a assumé son rôle d'encyclopédie à taille réelle de l'histoire occidentale de la Ville depuis plus de trois millénaires.

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Rome et ses strates urbaines

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