Miami et le sud de la Floride – Miami ou Miami Beach ? Une histoire entre deux eaux

Vu de loin, chaussé de lunettes-clichés, c'est tout vu : les longues plages piquetées de cabines instagrammables, les alignements de resorts avec piscines, bimbos et dancefloor le temps d'un springbreak, les cocotiers qui sentent bon le sable chaud et les supercars flashys qui roulent leurs mécaniques chaloupées sur un Ocean Drive bercé de rythmes latinos, c'est Miami !

"You're not in Miami, bitch, you're in Miami Beach !"
Mais non, désolé, je défendrais ici que l'histoire, l'esprit, l'ambiance n'est pas la même de part et d'autre de la baie de Biscayne. Si, bien sûr, la géographie physique et humaine et le développement concomitant confère à ces deux foyers intenses de l'american dream un destin commun et une aura inégalée, travailler dans l'une ce n'est pas déambuler dans l'autre, respirer ici n'est pas se ressourcer là-bas, ressentir à chaque coin des rues-ci un patrimoine matériel et immatériel à nul autre pareil ce n'est pas observer le renouvellement urbain qui se tâte et se constate.

Cet article sera donc le premier d'une série imaginée lors d'un voyage au Sud de la Floride effectué en août 2024, lorsque les Etats-Unis étaient fréquentables et que Mar-El-Lago avait encore les airs innocents d'un EHPAD à 18 trous et non de l'épicentre du renouveau du fascisme. Alors installez-vous confortablement au bord de l'eau, les pieds au frais et la pensée bien urbaine !
D'abord, vous l'aurez compris, on parlera de Miami, mais surtout de sa petite sœur Miami Beach, icône balnéaire au patrimoine extraordinaire ; puis l'on se laissera glisser le long de l'Overseas Highway jusqu'au Southernmost Point of the Continental U.S.A. dans l'archipel des Florida Keys ; enfin l'on retournera sur les rives de la baie de Biscayne pour s'intéresser à Miami à proprement parlé, et notamment aux grandes transformations urbaines que connait aujourd'hui la première métropole de Floride.

Une terre faite d'eau
Mais commençons par un peu de géographie. Ce site urbain est avant tout fascinant par les tensions permanentes entre les forces exceptionnelles de la nature qui l'ont façonné et les constructions humaines qui tentent de le dominer. L'écosystème fait ici directement face à l'anthropocène tant l'écoumène est à la fois contraint et contraint lui-même son environnement.
La région urbaine de Miami s'étend sur 16 000 km² et compte environ 6,2 millions d'habitants. Septième métropole du pays, elle bénéficie d'une forte croissance démographique (+11% en 10 ans), et son métabolisme est par ailleurs soumis à une pression anthropique particulièrement puissante puisqu'elle accueille chaque année près de 100 millions de touristes, principalement nord-américains, qui descendent de tout le continent à l'hiver et au printemps pour profiter de son climat en bordure de la zone tropicale. Premier port de croisière du monde (8 millions de personnes y sont passés en 2024 !), Miami est aussi de fait une très grande consommatrice de ressources endogènes et surtout exogènes, et fonctionne comme un radeau posé sur un marais, amarré au long cordon dunaire qui longe l'Atlantique depuis la Virginie. Sa tache urbaine caractéristique s'étend sur près de 180 Km du Nord au Sud pour une largeur de 20 km. A la différence de nombre de métropoles nord-américaines, elle est clairement délimitée par son environnement.


Ainsi à l'Ouest (le continent !) s'étendent les vastes marais des Everglades, inhospitaliers et inconstructibles jusqu'à la fin du XIXe s., mais qui n'ont cessé d'être lacérés d'infrastructures (1600 km de digues et de canaux) puis colonisée par l'agriculture et l'urbanisation de façon endémique jusqu'aux années 1960, perdant ainsi la moitié de leur surface. Par la suite sanctuarisés par la création de vastes parcs nationaux (Everglades National Park, Big Cypress National Park), ils font l'objet depuis les années 2000 d'un titanesque plan de restauration écologique visant à recouvrer leurs qualités écosystémiques premières et leur rôle de régulateur climatique aujourd'hui fortement dégradé par l'homme. Initialement annoncés pour 2030 pour un coût de 7,8 milliards de dollars, les travaux commencent tout juste à porter leurs fruits et chiffrent déjà à plus de 18 milliards de dollars. Leur achèvement a été prudemment repoussé à 2060, mais comme le souligne Joe Podgor, activiste environnemental local, "les Everglades sont un test. Si nous le réussissons, nous pourrons peut-être sauver la planète"
Si la Floride est une terre de colonisation humaine ancienne (12 000 ans), elle le fut longtemps sur sa péninsule Sud que de façon nomade, ponctuelle et aventureuse, d'abord par les amérindiens puis par les explorateurs et apprentis colons qui jusqu'à la toute fin du XXe s. ne s'y aventuraient que par bateau à fond plat, dépassant à peine du fouillis d'une végétation aquatique prolifique et avec une appréhension certaine face notamment à la faune variée, bien que de leur point de vue un tantinet féroce (du moustique à l'alligator en passant par le requin et la raie manta, la Floride, c'est l'Australie des USA !).
Un siècle d'urbanisation autour de la baie de Biscayne

La Floride – successivement à partir du XVIe s. comptoir espagnol, hollandais, britannique, puis de nouveau colonie espagnole – intègre progressivement les territoires états-uniens entre 1810 et 1822 puis devient état en 1845, non sans repousser les indiens Séminoles et Tequesta dans les marais.
Il est d'ailleurs intéressant de constater que c'est bien par la côte, et par l'attrait touristique de ses plages, que l'implantation sédentaire au Sud de la péninsule commence réellement et se poursuit jusqu'à maintenant. De 100 000 habitants avant la colonisation, l'état passe à peine à 3 millions d'habitants en 1950 et atteint 21 millions d'habitants en 2020. Au Sud de la péninsule, la proportion afro-américaine (21%) et surtout hispaniques (40%) est particulièrement marquée, les minorités constituant ici une majorité nette, venue principalement des mondes caribéens et sud-américains quant aux Nord se sont implantées de vastes gated cities pour retraités blancs et riches.
Dans cette Floride d'urbanisation juvénile, la métropole de Miami ne fait pas exception et son ascension fulgurante est encore plus tardive puisque que lorsque le chemin de fer l'atteint en 1896, elle ne compte que 7 000 habitants ! 130 ans plus tard, celle qui est surnommée Gateway to the Americas est aujourd'hui florissante et se positionne comme la deuxième place financière du pays après New York. Mais revenons à son cœur vibrant à la fleur d'une peau salée par les embruns, tannée par le soleil et adoucie par le sable des plages infinies : Miami Beach !


La ville de Miami Beach est aujourd'hui la deuxième plus peuplée du Miami-Dade County avec 83 000 habitants en 2020, derrière Miami dont le poids propre est relativement faible puisqu'elle ne totalise qu'environ 442 000 habitants. Fondée en 1915, ville à part entière depuis 1917, Miami Beach est implantée principalement sur une île située entre la baie et l'océan et fait face à sa grande sœur continentale. La majorité des îles habitées de la baie – le fameux millionaire's row enchainant villas, pontons et palmiers sur lesquels d'aucun péquin tente d'apercevoir depuis la sunset cruise obligatoire l'une des hypothétiques célébrités vantées par le guide gouailleur – font partie de Miami Beach et sont traversées par la Venetian way, cordon originel de 3,5 km reliant l'archipel à la terre ferme.
Vers le Nord, les quartiers de Mid Beach et de North Beach se prolongent sur un simple bandeau dunaire sur près de 40 km, bien au-delà des limites communales. Des condominiums font front côté mer tandis que des villas pieds dans l'eau s'installent côté lagune avec comme colonne vertébrale un boulevard urbain unique agglomérant commerces et services. Mais le cœur historique et battant de Miami Beach reste South Beach (ou SoBe) et prend place sur une île plus généreuse (environ 4 km de long sur 1,5 km de large) qui présente comme pattern urbain la grille américaine typique. C'est là que l'activité de jour comme de nuit bat son plein, alimentant dans l'imaginaire collectif ses rêves et ses fantasmes, et même parfois ses cauchemars.

Mais comment le village de pécheur au milieu de marais insalubres au bout du continent a-t-il pu devenir à ce point iconique ? Pour bien sentir les lieux, je vous propose une déambulation situationniste mais chronologique dans les rues de la belle américaine. La suite au prochain épisode !
Bibliographie
• ‘En Floride, immersion dans la nature longtemps impénétrable des Everglades’, Craig Pittmann, in Géo, 19/04/2025.
• Etats-Unis - Floride. Miami et Fort Lauderdale : un corridor urbain et touristique, Jean-François Arnal, agrégé d’Histoire-Géographie, Lycée International de Ferney-Voltaire, Université Lyon III, in CNES.