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Regards croisés sur le projet Berger / Anzutti pour les Halles de Paris

Par JPH. / MyNight(BF), le 15/07/2007 à 11:05


Un toit dans un jardin, par J.-P. H.


Tchin ! Tchin ! Entre deux coupes de champ’, les maquettes et rendus des différentes propositions et du projet lauréat s’offrent au public quelques jours après l’annonce officielle du choix de Berger et Anzutti pour la réalisation du carreau des halles.

Cette mondanité est l’occasion d’une deuxième lecture du projet et d’une mise en comparaison. Si de prime abord à travers la presse le projet paraissait léger, il n’en demeure pas moins le meilleur de tous. Faut-il s’inquiéter pour les autres ?

L’objet du concours était simple et ouvert. Le charpentier des Halles a été désigné, consensuellement et à l’unanimité. Berger et Anzutti proposent une feuille géante, poétique pour les uns, autonettoyante pour les autres, ce qui reste un aspect pragmatique lorsqu’on songe aux strates de fientes fossilisées sur les célèbres parapluies Willerval.

Du coup, la rhétorique se fait pauvre. Mais voilà l’illustration parisienne qui manquait afin de proposer un exemple d’architecture « iconique ». C’est une feuille, indiscutablement, même si  certains y voient une raie manta, un nuage… mais la tige est là, dans la perspective de la rue de la Cossonerie : c’est bel et bien une feuille !

https://www.pss-archi.eu/photos/mynight/h1.jpg
© Berger /  Anzutti 2007

L’amusement passé, on comprend que l’architecture se trouve réduite à une symbolique navrante. Jean-Pierre Caffet, adjoint au maire chargé de l’urbanisme, rappelle à son auditoire qu’il souhaitait d’abord répondre à une « stratégie urbaine ». Jean-François Legaret, maire du Ier arrondissement, dit lui avoir été séduit par « l’objet  unique en son genre »…

« La canopée » est-elle une stratégie urbaine ou un objet architectural ? L’appréciation politicienne va même jusqu’à affirmer quelle ne souhaitait pas « d’architecture manifeste ». Elle propose néanmoins de façon magistrale l’exemple d’une architecture iconique qui fera sans doute date.

Parmi l’ensemble des propositions, celle de Berger et Anzutti respecte fidèlement l’esprit du projet Mangin. On ne pourra donc que se féliciter de la cohérence avec le plan choisi. Les autres objets architecturaux, cubo-cubiques, fantaisistes, même papillonnants semblaient quant à eux remettre en cause le dessin si polémique du carreau.

La plupart des propositions semble s’émanciper d’un contexte pourtant si difficile. La problématique n’était pas celle de l’objet, mais effectivement de la stratégie urbaine. Si l’on peut regretter le projet de Maas qui venait avec (trop de ?) fantaisie donner à Paris cette grand place qu’elle n’a pas, le projet de Mangin associé à Berger et Anzutti décloisonne l’espace, devenu ainsi plus lisible. Là où les autres proposent arches, rampes, dédales, les lauréats affichent avec minimalisme une place inclinée, peut-être en écho à la piazetta Beaubourg.

Il n’y a plus à faire le procès du projet Mangin. Il est désormais acquis (malheureusement ?). Respectueusement Berger et Anzutti répondent aux attentes fixées. Si en regard de la stratégie urbaine il y a quelques reproches, il faut donc s’en retourner plus en amont.

L’objet... « Un toit dans un jardin »… une feuille en guise d’abri. « Poétique » ? Simpliste. Que vient faire cette feuille sinon cacher pudiquement le trou qui fut sujet de ô combien d’interrogations ? In fine, la critique faite aux autres projets peut s’appliquer ici aussi. Un édifice autonome qui ne s’intègre qu’au jardin auquel il est une réponse. Si l’opération est en elle-même emblématique, l’architecture ne devait pas, par translation, être symbolique. La canopée est une architecture de son temps, contestable, que Paris saura sans doute monumentaliser.

https://www.pss-archi.eu/photos/mynight/h2.jpg
© Berger /  Anzutti 2007

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Une feuille posée sur une gare, par MyNight (BF)

Une feuille posée sur une gare ? Une gare enfouie sous une feuille ?

Cette structure poético-chlorophyllienne au coeur même d’une métropole mondiale tente de synthétiser bon nombre de desiderata, et jongle avec les paradoxes. De l’image verte à l’iconographie HQE, le projet de Berger et Anzutti unifie idéologie écolo et high-tech, symbolise l’union entre urbanité et nature dans un objet architectural posé là en rupture avec l’environnement urbain, mais en intégration avec l’environnement tout court.

Et si la carence fondamentale du projet des Halles provenait de son éparpillement ? On était censé se situer dans une logique de lecture globale du projet, confiée à Mangin au terme d’un long rodéo architecturo-juridique qui n’est d’ailleurs pas encore achevé, pour en faire un système avec des 'organes' liés fortement entre eux. Si on songe aux deux fonctions principales des Halles, il s’agit d’un système de flux de voyageurs imbriqué dans une plateforme commerciale. Dans cette optique, les Halles sont avant tout une gare polymodale censée irriguer le centre de Paris, à la croisée des chemins de 11 millions d’habitants, ainsi qu’un complexe commercial d’hypercentre.

https://www.pss-archi.eu/photos/mynight/halles.jpg
© RATP 2007

Un parc est greffé depuis belle lurette au sommet de cette gare polymodale. Ce parc n'est qu'une manière accoutumée à Paris d'habiller une dalle, et rien de plus, un peu comme les Jardins de l’Atlantique sur le toit de la gare Montparnasse.

Or, dans ce nouveau projet des Halles, on constate avec surprise que le parc prend finalement la fonction première du système : les Halles deviennent un parc et secondairement  une gare polymodale. Pour brouiller le tout, de manière quasi-optionnelle et accessoire, les Halles restent ancrées dans une fonction commerciale – fonction historique s’il en est, mais dont on n’entend plus jamais parler, sinon lorsque l’on évoque pudiquement Unibail.

Ce glissement du fonctionnel au formel est plus qu’intéressant à noter depuis qu’il est devenu central. Les Halles se sont métamorphosées en un nouvel objet aux enjeux inédits : si la cité du XVIIIe siècle s’affichait commerciale pour être prospère, la cité du XIX-XXe siècle exhibait fièrement ses nœuds ferroviaires pour assumer sa fonction de carrefour. Visiblement, la cité du XXIe siècle se contentera d’être verte ou ne sera pas…

Dès lors, utiliser l'iconographie de cette feuille corrobore la fonction première de parc urbain des Halles. Comment dans ces conditions s'étonner de la distribution difficile à lire des entrées/sorties ? Puisqu’on se situe ici dans du décoratif et de l’ornement, dans une sorte de jardin hybride post-moderne, n’est-il pas logique que les 11 mètres de l’édifice évitent certes toute ombre portée, mais qu’ils ne cherchent aucunement à s’inscrire dans le paysage urbain ? N’est-il pas naturel que la mythologie chlorophyllienne l'emporte, dans un contexte tellement pastoral, sur la plateforme d'échange et de flux des voyageurs ?

L'équipement intérieur est-il encore non défini, auquel cas on ne nous propose là qu'une étude de principes, ce qui démontrera bien la gratuité de la forme retenue s’intégrant dans un environnement mythique mais inadapté au réel, ce dans un contexte d'architecture purement iconique ? Et donc la feuille sera-t-elle adaptée aux contraintes d'une gare polymodale et d’un centre commercial ?

Ou alors sommes-nous plutôt face à un objet architectural ne pouvant se borner à ne se réclamer que ce qu'il est : juste un toit ? Une simple tranche d'appel d'offre, sans suture avec le projet global ? Et auquel cas, la feuille n'est-elle pas un cache-misère, puisque la réflexion nécessaire sur la jugulation des flux de voyageurs et leur connexion avec le tissu urbain environnant reste toujours aussi floue ? C'est la feuille qui cache la forêt.

On aura ainsi beau communiquer sur la feuille et le parc, on n'aura pas résolu les fonctions primaires des Halles tant qu'on ne se sera pas penché sur ses sutures avec le pôle central hyper-dense que représente le centre de Paris. Et c'est cela qui m’apparaît poser question dans ce projet qui reste beaucoup trop circonscrit au parc. On peut toujours paysager un endroit a posteriori, c'est le plus facile, c'est un peu la cerise sur le gâteau, c'est secondaire, c'est un luxe, c’est l’étape de la finition quand on parle de l’une des plus grandes gares polymodales d’Europe. Faire passer la décoration avant le fond, c’est un peu concevoir une voiture parce qu’on a choisi qu’elle sera rouge.

Cette feuille ne manquera pas de poser énormément de problèmes techniques à résoudre. Une structure non apparente dans un projet fondé sur la transparence, des systèmes non testés a priori comme le verre auto-nettoyable sur une si vaste surface, et une quasi-horizontalité rendant les circulations d'air dans la double peau plus que complexes à imaginer dans le cadre d’un objet plus ou moins autonome d’un point de vue énergétique : cela offre beaucoup d’inconnues dans l’équation. Comment dès lors croire que les maîtres d'oeuvre vont trouver des solutions simples et économiques à une feuille aussi ambitieuse ? Va-t-on revoir le projet de fond en comble, et il ne ressemblera au final en rien à ce que la communication actuelle de la Ville nous vend ; ou va-t-on s'efforcer de laisser paraître ce projet tel que présenté aujourd’hui, et auquel cas son coût d'arrivée sera certainement (beaucoup) plus important que prévu ?... Le symbole bucolique et décalé de la feuille urbaine en vaut-il la chandelle ? Ne fallait-il pas mettre tous les efforts de conception au service du pôle d'échange polymodal et de son interface avec l'existant ?

Attendons donc de voir avec impatience la manière dont la ville de Paris va communiquer sur ce toit qui semble pour l’heure un peu vide de sens tellement il reste créé pour lui-même, en autonomie (en autarcie ?), semblant ignorer sa fonction première avec un rien d’arrogance. Pour l’heure, ce toit comme une feuille de vigne semble masquer allégoriquement non le trou, mais ce qui ressemble au  vide conceptuel et prévisionnel des Halles.

L'historique des Halles depuis décembre 2004 :
--> https://www.pss-archi.eu/forum/viewtopic.php?id=65

Les projets en lice pour le Carreau :
--> https://www.pss-archi.eu/forum/viewtopic … 5&p=12 (post #281)

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--> https://www.pss-archi.eu/forum/viewtopic … 5&p=12

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