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SDRIF et Grand Pari(s) : 40 ans d’aménagement francilien en débat(s) - Episode 2 : Le SDAURIF et le maintien des équilibres

Par Lupus (BeF), le 28/03/2010 à 18:13

SDRIF et Grand Pari(s) : 40 ans d’aménagement francilien en débat(s)
Episode 2 : Le SDAURIF et le maintien des équilibres

L’article qui suit est une adaptation d’un mémoire de fin d’études en urbanisme et transports, intitulé « Accrocher le Bassin Parisien au Polycentrisme Francilien, Le cas du Faisceau Nord », et réalisé en septembre 2009 .
Ce mémoire avait pour objet l’amélioration des liaisons ferroviaires entre la Picardie et l’Ile de France. Il contenait des informations peu diffusables et des travaux appartenant à des entreprises de droit privé.
Sont visibles ici les parties portant sur les grandes étapes de l’aménagement moderne de l’Ile de France et sur le débat actuel autour de l’aménagement de la région.


Avant-propos

Après 40 ans de planification urbaine menée par les services de l’Etat, l’aménagement actuel de la région Ile-de-France fait aujourd’hui l’objet d’un lourd débat. Le SDRIF de 1994, toujours en vigueur, est remis en cause par la Région, qui a repris des mains de l’état les manettes de la planification. La révision du SDRIF, lancée en 2004, a fait l’objet d’une large consultation, et a abouti en 2007 sur un projet de nouveau SDRIF.
L’Etat, souhaitant défendre ses intérêts et sa vision de l’aménagement francilien, a lancé sa propre consultation en 2007, et prépare en ce moment ses propres mesures d’aménagement.
L’objet de cet article n’est pas de traiter ce débat sous l’angle des querelles politiques, pourtant prégnantes, mais plutôt d’en exposer les grandes lignes d’opposition, afin de faire émerger une vision structurée et lisible de ses enjeux pour l’aménagement de la région parisienne. Nous n’aborderons pas ou peu la gouvernance et les querelles partisane, pour préférer aborder les notions de polycentrismeS, de radioconcentrismeS, d’accessibilitéS, de mixitéS et de mobilitéS.
Le premier épisode traitait du SDAURP de 1965. Le retour sur les grands schémas d’aménagement de ces 40 dernières années continue ici avec le SDAURIF de 1975, avant que ne soit abordé dans l’épisode suivant le SDRIF de 1994. Ensuite, le quatrième épisode proposera une synthèse des projets des équipes pluridisciplinaires de la consultation du Grand Pari(S) et une analyse des grandes alternatives qui les partagent. Enfin, dans un cinquième et dernier épisode, nous étudierons l’opposition actuelle entre le projet gouvernemental et le projet régional à la lumière des schémas passés et des alternatives actuelles...

Présentation du SDAURIF

Comme on l’a vu plus haut, le SDAURP, bien qu’ayant clairement marqué la politique d’aménagement de la région parisienne, n’a jamais été adopté officiellement. Pourtant, le droit de l’urbanisme (art L. 141-1 et R 141-2) imposait la conformité des SDAU (Schéma Directeurs d’Aménagement et d’Urbanisme) et des Schémas de Secteur avec le schéma d’aménagement régional.
Ainsi, avant qu’au 2 juin 1975 un décret autorise l’approbation de ces schémas locaux avant celle du SDAURIF (Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région d’ile de France), l’aménagement urbain de la région était démuni d’outil juridique. C’est dans ce contexte qu’en mai 1974 le ministre de l’équipement a lancé la rédaction d’une mise à jour du SDAURP, officielle cette fois, qui a abouti au SDAURIF ici étudié.
Le SDAURIF, approuvé en 1975 se présente donc comme étant « l’héritier direct de celui de 1965, enrichi par dix années de mise en œuvre ». Sa rédaction est structurée par grands thèmes, ce qui nuit finalement à la clarté du raisonnement mis en œuvre. Son style est plus policé et les décisions sont moins tranchées et moins exhaustives que celles de son prédécesseur.

Bilan du SDAURP et situation en 1975

Après un très bref rappel de la situation en 1965 et des principes mis en œuvre dans le SDAURP, le SDAURIF s’applique à faire un court bilan de son application, et de ce qui a changé en 10 ans.
Le ralentissement de la croissance démographique semble être le premier élément retenu par le SDAURIF ; d’un taux 2% par an entre 1954 et 1962, la région est revenue à un taux de croissance aux alentours de celui du reste du pays, à 0,9% par an. C’est d’ailleurs l’excédent de naissances sur les décès qui explique seul cette croissance, car le solde migratoire est devenu négatif.
Le dépeuplement de Paris s’accélère, la ville a perdu 300 000 habitants en 7 ans, et ce sont les départements de grande couronne qui accueillent la plus grande part de la croissance démographique (+ 110 000 habitants par an).
Le suremploi à Paris et en proche banlieue Ouest a continué à augmenter, soutenu par la forte croissance de l’emploi tertiaire, et le déficit d’emplois en périphérie n’a pas diminué, du fait de la forte croissance démographique.
La modernisation du parc de logements ne s’est fait « qu’au prix d’une redistribution géographique très accentuée, c'est-à-dire trop souvent du rejet vers la périphérie des ménages à revenus modestes et d’une aggravation de la ségrégation sociale au sein de l’agglomération » (page 13)
Un « effort considérable pour remédier au sous-équipement de la banlieue » est remarqué, notamment en termes de desserrement des équipements universitaires, de création de centres culturels importants autours de Paris, de réalisation de nouveaux hôpitaux, d’ouverture de nouveaux magasins de grandes surfaces… Néanmoins, « aucun des projets d’implantation universitaire ou hospitalière en ville nouvelle n’a encore été mis en œuvre ».
En 1970, les établissements publics et les syndicats communautaires des villes nouvelles ont été mis en place, suivis des premiers équipements (grandes liaisons avec Paris, création de centres administratifs, commerciaux, d’enseignement supérieur) et des premiers programmes urbains (50 000 à 60 000 nouveaux logements, 100 000 m² de bureaux, surfaces industrielles) : « les villes nouvelles sont devenues une réalité et ont atteint un point de non-retour ».
Le SDAURIF constate que « leur décollage a été moins rapide que prévu », ce qui, associé à l’absence de schémas directeurs officiels, a gêné la maîtrise du développement urbain et son orientation selon les axes retenus en 1965. En effet, « On a assisté […] à une localisation de l’habitat en dehors des axes d’urbanisation » (page 14).
En bref, s’il souligne la difficulté d’établir un bilan de l’application du SDAURP 10 ans seulement après sa rédaction, il considère que celui-ci a relativement bien rempli ses objectifs, mettant fin à l’étalement en tâche d’huile et au monocentrisme. Le problème quantitatif de l’accueil de nouveaux résidents étant en passe d’être résolu, le SDAURIF considère qu’il est temps de « mettre l’accent sur les aspects plus qualitatifs », et semble décidé à prendre en main l’avenir de la région.

Des objectifs en rupture

Alors que le SDAURP était alarmiste quant au futur de l’agglomération parisienne, et cherchait à la préparer au mieux aux évolutions exogènes qui étaient en passe de l’impacter, le SDAURIF, réalisé à la toute fin des trente glorieuses, semble mettre l’accent sur les aspects qualitatifs des choses. En effet, les objectifs que se donne le SDAURIF découlent de deux impératifs (page 31) :
- « Assumer et valoriser l’héritage politique, économique et culturel de Paris et de sa région »
- « donner à chacun des quelque 10 millions d’habitants d’aujourd’hui le sentiment et la certitude que le cadre de vie urbaine de demain leur permettra, ainsi qu’à leurs descendants, de mieux vivre en région d’Ile-de-France »
Ces objectifs sont au nombre de quatre (page 31):
1. « Améliorer le cadre et les conditions de vie des habitants de la région d’Ile-de-France »
2. « Protéger et mettre en valeur les ressources naturelles et le patrimoine bâti »
3. « assurer l’adaptation de l’appareil de production et de commandement »
4. « maintenir le rôle international de Paris et de sa région »
On remarque que l’économie, qui tenait une place déterminante dans l’ancien schéma, n’occupe plus que les deux dernières places dans le classement des objectifs, alors que la préservation du patrimoine bâti, qui semblait plus être une contrainte gênante dans le SDAURP, est ici élevée en objectif. Quant aux espaces non bâtis, dénommés « espaces libres » dans le SDAURP, et alors voués aux loisirs, ils sont désormais le lieu de « ressources naturelles » qu’il faut « protéger et mettre en valeur ».
Enfin, la recherche du « bonheur » prend place dans le document, au sein de l’amélioration du cadre de vie : « Si le bonheur n’est peut-être, ni une ‘idée neuve’… en région d’Ile-de-France, ni une des composantes nécessaires d’une politique urbaine, celle-ci ne doit négliger rien de ce qui peut offrir à chacun une occasion d’épanouissement ou tout simplement de mieux-être. » (page 31)
L’amélioration du cadre de vie passe par des orientations déjà prises dans le SDAURP, comme la recherche d’un meilleur équilibre habitat-emploi, l’amélioration des conditions de transport et le développement d’équipements collectifs à proximité des lieux de résidence. Néanmoins, on notera que l’amélioration des conditions d’habitat passe par la rénovation ou la réhabilitation du patrimoine ancien et la liberté laissée aux plus défavorisés de choisir leur lieu d’habitat.
Pour aborder la question de la protection du patrimoine naturel et bâti, le vocabulaire de l’aménagement parisien s’enrichit d’un nouveau champ lexical : « respect », « mesure », « équilibres », « protection », « sauvegarde », « réduction », « maintien », ainsi que « survie » ou « nuisances ». En effet, « la décennie qui vient de s’écouler a permis de mieux mesurer l’importance de ce bien rare qu’est devenu l’espace », et il s’agit désormais de « maintenir les grands équilibres écologiques » et de « poursuivre une politique ambitieuse de protection et de réhabilitation du patrimoine bâti », mais également de « faciliter les occasions de rencontre du citadin avec la nature en développant une armature d’espaces verts et de loisirs ». (page 32)
Rompant avec le point de vue purement quantitatif et spatial du SDAURP, le SDAURIF aborde l’économie en tant que système sur lequel la politique urbaine a une influence. La perception d’un développement exogène est abandonnée, et l’on parle du « développement du potentiel scientifique et technique de la région, au sein de laquelle la formation doit être étendue et affinée, la recherche stimulée et l’innovation encouragée ». Pour le reste, l’analyse spatiale subsiste, car il s’agit d’encourager une « répartition plus harmonieuse des activités », au profit des centres urbains nouveaux et de l’est de l’agglomération, et d’assurer le « maintien d’une certaine activité industrielle dans la zone centrale de l’agglomération ». Ainsi, si la « limitation des activités tertiaires dans Paris et la proche banlieue Ouest » est affirmée, le tri entre activités supérieures et subalternes semble nuancé. (page 32)
Enfin, le maintien du rôle international de Paris passe par l’accueil d’événements internationaux (congrès, expositions…), ce qui suppose une bonne connexion du centre aux grands aéroports, par le soutien à la création et par l’amélioration des capacités de séjours et d’installation des étrangers.
Pour résumer, « Si, pour s’en tenir à elle seule, Paris ne doit pas devenir une ville-musée riche de son seul passé, elle ne doit pas sacrifier son originalité à des objectifs trop délibérément fonctionnels ». Bref, si le SDAURIF souhaite, du moins dans les partis pris d’aménagement, perpétuer les orientations du SDAURP, il n’en réalise pas moins une rupture dans le ton employé et les objectifs.
? [Le SDAURIF se montre ainsi bien plus proche des préoccupations actuelles que ne l’était le SDAURP. Il laisse une large place à l’aménagement qualitatif et aux thèmes de l’environnement et de la protection du patrimoine]

Les même principes qu’en 1965

Si les objectifs et la philosophie globale du SDAURIF s’écartent quelque peu de ce qu’ils étaient pour le SDAURP, le nouveau schéma reprend précisément et sans les modifier, après en avoir réexpliqué les raisons, les trois grands principes du schéma de 1965 (page 34):
- « créer des centres urbains ‘nouveaux’, ‘villes nouvelles’ dans les zones d’extension de l’agglomération, pôles urbains rénovés dans les banlieues existantes ;
- canaliser l’extension urbaine selon des axes préférentiels
- organiser l’unité de la région urbaine
»
Pour autant, on notera quelques différences dans leur application, à commencer par l’aménagement du centre de l’agglomération. Autrefois considéré comme le lieu de commandement de toute l’agglomération, le centre devait continuer à s’équiper, et être maillé de voies autoroutières. Cette vision n’est plus d’actualité, et tout projet y est abandonné, au profit de la protection du patrimoine. La spécialisation du centre sur les activités tertiaires supérieures est bridée, afin de conserver de l’emploi faiblement qualifié au centre, et freiner l’exode des populations modestes. Ce maintient d’une mixité sociale passe aussi par le développement du parc social dans Paris, pour contrebalancer le renchérissement des loyers consécutif à la rénovation des immeubles.
? [On remarquera que le centre n’est plus forcément considéré comme le sommet de la hiérarchie régionale. D’autre part, les questions de la mixité sociale et de l’équilibre habitat-emploi font surface. Ces changements sont encore critiqués aujourd’hui]
Les villes nouvelles, dont l’aménagement a commencé, ne sont plus que 5 : Beaumont, Mantes-Sud et Palaiseau sont abandonnées. L’axe d’urbanisation préférentielle Sud est donc tronqué au niveau de Trappes.

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Figure 24 : Les villes nouvelles (Source : SDAURIF, 1975)

La petite couronne, qui a été restructurée par les « nouveaux centres urbains » du SDAURP, doit maintenant être requalifiée pour unifier cet « espace morcelé par les grandes percées ferroviaires et maintenant autoroutières, hétérogène par la formation de sédiments urbains historiquement différenciés. Il est surtout fonctionnellement inorganisé en tant que tel » (page 39). Cela passe par des opérations de rénovation de l’habitat et du domaine public suffisamment fines pour ne pas compromettre les équilibres sociaux. Enfin, il faut veiller à limiter le déséquilibre Est-Ouest naissant en banlieue, du à la désindustrialisation de l’Est et à la tertiarisation de l’Ouest. Cela passe par le renforcement des centres urbains nouveaux de l’Est.
? [La question du morcellement des espaces urbains par les infrastructures de transport, et donc de la sectorisation, émerge également.]
Les petites villes de grande couronne conservent leur rôle d’accueil des résidences secondaires et de polarisation de l’espace rural. Leur croissance, supérieure à celle de l’ensemble de la région et des principales villes du Bassin Parisien, doit être bridée, pour ne pas entacher leur cadre de vie attractif et leur aspect « provincial ».
Enfin, l’espace rural de grande couronne gagne une place dans le SDAURIF. Il s’agit surtout de protéger les espaces agricoles en définissant une politique de « trame verte », qui porte sur la discontinuité de l’urbanisation, la protection d’[/i] » espaces à dominante végétale » et la création d’un réseau d’espaces de loisirs.

Le Bassin Parisien

En 1965, le SDAURP n’a que très succinctement évoqué l’espace interrégional alentour dans sa problématique, notamment au sujet de la concurrence que la création des villes nouvelles pourrait faire au développement des villes du Bassin Parisien.
Si le SDAURIF, lui, consacre un court chapitre au Bassin Parisien, dans son exposé des enjeux de la révision du SDAURP, c’est avant tout parce qu’en 1966, le gouvernement créait le « groupe interministériel d’aménagement du Bassin Parisien », travaillant sur un périmètre réunissant les régions Ile de France, Picardie, Champagne-Ardenne, Centre, Haute et Basse Normandie, ainsi que les départements de l’Yonne et de la Sarthe.


Selon le SDAURIF, les études montrèrent rapidement que le Bassin Parisien ne constituait qu’[/i] » un ensemble de petites régions sans unité économique ou géographique » et « qu’il ne s’y est créé aucun pôle de développement capable de préserver son autonomie par rapport à la région d’Ile de France et d’exercer un effet d’entraînement suffisant sur son environnement ».

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Figure 26 : Le Bassin Parisien comme trop-plein de la région parisienne

Par contre, « la plupart des centres moyens relativement proches de la capitale (Chartres, Dreux, Evreux, Montargis, Compiègne, Beauvais) connaissent un essor remarquable » et « à un niveau supérieur, presque toutes les villes importantes du Bassin Parisien (Caen, Le Mans, Tours, Orléans, Reims, Amiens) ont connu une croissance rapide ». En effet, le Bassin Parisien a été le « premier bénéficiaire de la décentralisation industrielle, et a accueilli plus de la moitié des entreprises et des emplois industriels décentralisés de Paris, ainsi que d’importantes opérations tertiaires. »
Pour autant, si les villes du Bassin Parisien sont trop influencées par Paris pour constituer des métropoles d’équilibre, le SDAURIF n’a pas de moyen d’action sur leur développement, et se contente de rappeler la politique d’aménagement engagée par le gouvernement en 1970 (page 29) :
- L’implantation dans le Bassin Parisien les activités qui doivent se trouver à proximité de Paris
- L’aménagement du Bassin Parisien afin qu’aucune partie ne soit défavorisée par rapport aux autres
Cette politique s’est exprimée par la définition de quatre « zones d’appui », regroupant chacune de nombreux espaces urbanisés, afin que se développent là ces activités détournées de la Région Parisienne. Les zones d’appui sont la vallée de la basse Seine en Normandie, les vallées de l’Oise et de l’Aisne en Picardie, le Nord de la Champagne et la moyenne vallée de la Loire.
Les premiers bilans de cette politique furent, selon le SDAURIF, mitigés, puisque si le Bassin Parisien semble avoir effectivement servi d’» exutoire privilégié au report de la croissance de la région d’Ile de France », des différences de développement sont apparues entre les zones d’appui.
? [Pour ce qui est de la Picardie, on remarque que si Amiens semble ignorée, la vallée de l’Oise constitue bien une zone d’appui.]

Un plan transport aux objectifs inchangés

Le SDAURIF fait de la réponse aux besoins de déplacements par le réseau de transports existant un diagnostic assez similaire à celui de 1965. Celui-ci tient sur trois points :
- Le temps alloué aux déplacements domicile-travail reste trop long. Cela est du à la congestion du système de transports et au caractère encore trop monocentrique de l’agglomération
- La voirie du centre de l’agglomération est saturée, ce qui entrave la circulation automobile et les transports en commun de surface
- Les investissements en transports sont en retard sur l’expansion urbaine.
Le réseau de transports doit bien entendu répondre à ces défis. Mais comme le SDAURP, le SDAURIF donne également une fonction d’aménagement aux transports, qui doivent favoriser le parti pris d’aménagement : « Le dessin d’un réseau de transports peut constituer à lui seul un parti d’aménagement, l’urbanisation étant alors commandée par le tracé des lignes. L’une des idées maîtresses du schéma de 1965 était, au contraire, d’organiser le système des transports en fonction d’objectifs d’aménagement préalablement fixés et d’en faire l’un des instruments principaux pour atteindre ceux-ci. Un tel choix conserve aujourd’hui toute sa valeur » (page 80)
Compte tenu de ces remarques, le SDAURIF reprend les trois objectifs fixés par le SDAURP au schéma régional de transports (page 47) :
- l’unité de la région d’Ile-de-France (et donc la priorité donnée à la mobilité sur la proximité)
- l’orientation de la croissance urbaine
- les relations interrégionales avec le Bassin parisien et l’ensemble de la France
Cependant, le SDAURIF précise un peu ces objectifs plus loin, en citant quatre objectifs plus concrets (page 80) :
- « assurer le développement des villes nouvelles »
- « faciliter les relations entre les principaux centres urbains autres que Paris »
- « réorganiser les transports dans la zone centrale »
- « permettre l’insertion du système régional de transport dans le réseau national et international »
Là où dans le SDAURP, le rôle d’[/i] » orientation de la croissance urbaine » se bornait à desservir massivement les zones à urbaniser, le SDAURIF donne au réseau de transports la tâche de « Contribuer au polycentrisme en reliant entre eux de façon privilégiée les centres urbains de la région. » Un des objectifs de cette option est de « contribuer à atténuer la dépendance vis-à-vis de Paris du reste de la région ». (page 80)

Des principes d’application qui diffèrent

Si les objectifs du SDAURIF reprennent ceux du SDAURP, les moyens mis en œuvre pour les atteindre diffèrent assez largement, et le SDAURIF n’hésite pas à prendre ses distances avec le schéma précédent : « Dans le domaine des transports, le rapport de 1965 était notamment marqué par la hardiesse de ses prévisions et de ses propositions concernant les infrastructures nouvelles, et par une vision assez optimiste de l’avenir de l’automobile dans l’agglomération parisienne. » (page 96)
En effet, trois points conduisent le SDAURIF à faire basculer la priorité de l’automobile aux transports collectifs :
- l’apparition de la protection de l’environnement dans le discours conduit à annuler les projets autoroutiers traversant les zones naturelles protégées
- le souci de préservation du patrimoine bâti amène à annuler tous les projets autoroutiers dans Paris intramuros
- la congestion de la voirie du centre-ville enjoint à supprimer tous les projets de radiales autoroutières dont elle ne saurait supporter le flux engendré
Ainsi, « les contraintes propres à une très grande agglomération, qui rendent nécessaires la complémentarité entre modes de transport, conduisent de la même manière à affirmer la priorité des transports en commun » (page 81). Les transports collectifs ne constituent donc plus un mode par défaut, mais doivent prévaloir partout où ils le peuvent :
-  sur les liaisons radiales vers Paris
-  sur les liaisons internes à Paris et aux centres urbains nouveaux
-  sur les liaisons entre centres urbains nouveaux

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Figure 27 : Les véhicules individuels sont cantonnés aux déplacements de banlieue

Ce dernier point est donc nouveau par rapport au SDAURP, qui le laissait à l’automobile. Par contre, les autres liaisons de banlieue à banlieue, du fait des faibles flux en jeu, resteront en majeure partie assurées par les transports individuels, même si les transports en commun joueront leur rôle de transport social, et pourront croître à mesure que les déplacements de banlieue à banlieue croîtront.
L’autre grand changement par rapport aux principes du SDAURP, c’est l’utilisation « aussi largement que possible » (page 48) des infrastructures existantes par le nouveau réseau de transports ferrés. On remarquera d’ailleurs une sorte de contradiction entre la volonté d’organiser les transports à partir des choix d’aménagement (et non l’inverse) et celle d’utiliser au maximum le réseau de transports existants.
? [On remarquera que la priorité aux transports collectifs qui est affirmée aujourd’hui est issue du SDAURIF. La priorité à l’optimisation de l’existant sur les infrastructures nouvelles est également mise en avant.]

Les transports collectifs

Compte tenu de ces nouveaux principes, le système structurant l’agglomération parisienne est le nouveau Réseau Express Régional. Celui-ci n’est plus conçu comme un « métro régional » sur infrastructures nouvelles, mais comme l’interconnexion des faisceaux grandes lignes SNCF dans Paris, lesquels sont prolongés par quelques antennes nouvelles vers les villes nouvelles et les aéroports.
Alors que le réseau définit dans le SDAURP était un réseau maillé, bien qu’essentiellement radial dans ses missions, le nouveau réseau rayonne à partir d’un centre unique, constitué des nouvelles stations de « Châtelet-les-Halles » et de « St-Michel-Notre-Dame » pour rejoindre l’ensemble des villes nouvelles et des aéroports. Le reste du réseau radial n’est pas décrit :

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Figure 28 : Le RER relie les villes nouvelles au cœur de Paris

- Une branche de la première ligne de RER (le RER A) est construite pour rejoindre Marne-la-Vallée
- Le RER A reprend la ligne de chemin de fer Paris-Mantes par la rive gauche à partir de laquelle une antenne nouvelle rejoint Cergy-Pontoise
- Une nouvelle antenne de la ligne de Sceaux (actuel RER B) au Sud, à partir d’Antony, permettra de relier l’aéroport d’Orly
- Au Nord, le RER B reprendra les voies SNCF vers Laon, et une nouvelle antenne ferroviaire permettra de rejoindre l’aéroport de Roissy
- La ville nouvelle de Melun-Sénart sera connectée à « Chatelet-les-Halles » par une nouvelle ligne (l’actuel RER D) reprenant les voies SNCF du PLM jusqu’à la gare de Lyon, où elle empruntera les infrastructures du RER pour rejoindre la gare du Nord.
- La ville nouvelle de St-Quentin-en-Yvelines sera connectée à « St-Michel-Notre-Dame » et au RER B par une nouvelle ligne (l’actuelle ligne C) reprenant la ligne de la gare des Invalides, et les voies de la gare.
Pour mailler le réseau, des liaisons tangentielles en transports en commun seront créées entre les villes nouvelles :

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Figure 29 : Trois tangentielles polarisent le réseau sur les lignes nouvelles

- Reprenant les infrastructures existantes, une ligne reliera Pontoise à St-Quentin-en-Yvelines, en passant par la Vallée de Montmorency, La Défense et Versailles
- Reprenant également les infrastructures existantes, une ligne reliera Pontoise à Marne-la-Vallée, en passant par la Vallée de Montmorency, Le Bourget et Bobigny.
- Une ligne nouvelle devra être créée entre Versailles et Marne-la-Vallée, en passant par Créteil et Rungis, et ayant une antenne vers Orly et Evry. Cette ligne sera d’abord construite sous la forme d’un ensemble de lignes d’autobus en site propre, avant que le trafic ne justifie la construction d’une ligne ferroviaire.

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Figure 30 : Un réseau radioconcentrique au centre, polarisé sur les villes nouvelles en périphérie

? [Le RER purement radiale et non maillé que l’on connait aujourd’hui est dessiné dès 1975 avec le SDAURIF. Les tangentielles sont définies comme des liaisons d’aménagement du territoire, allant de ville nouvelle à ville nouvelle et desservant les centres urbains nouveaux de banlieue. Aujourd’hui, elles prennent une fonction de desserte locale et de maillage, et s’insèrent dans un réseau radioconcentrique]
Quant au réseau de transport dans l’agglomération centrale, il prendra une forme radiale, avec le prolongement des lignes de métro « jusqu’aux pôles d’emplois et de services situés au niveau de l’autoroute A86 », voire radioconcentrique, dans le cas de la création ultérieure d’une « rocade en site propre », dont ni la capacité ni la nature ne sont encore définies.

Les transports routiers

La priorité est donc effectivement donnée aux transports collectifs. Néanmoins, « Le fonctionnement harmonieux d’une grande agglomération implique aussi l’existence d’un réseau minimum de grande voirie » (page 81). La politique d’équipement à ce sujet consiste en la construction de grandes rocades (pour le trafic interne à la banlieue) et à la limitation du nombre de radiales.
Le système s’organise autour de deux grandes rocades :
- L’A86 permet des liaisons routières directes entre les « nouveaux pôles urbains » de banlieue
- L’A87, plus loin, doit capter le trafic issu des villes nouvelles pour le diffuser sur les différentes radiales

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Figure 31 : Un réseau radioconcentrique au centre, radial en périphérie

Pour le reste, la politique automobile utilisera largement les leviers que constituent la voirie et le stationnement pour limiter l’usage de l’automobile dans Paris. Le stationnement de longue durée, lié aux migrations quotidiennes, doit être découragé, et être compensé par le développement de parcs relais à proximité des gares de banlieue.
? [Le report modal par gène imposée à l’automobile fait son apparition parmi les outils d’aménagement. C’est encore en débat aujourd’hui.]

Conclusion

Le SDAURIF s’inscrit donc en continuité du SDAURP. Il en reprend la plupart des objectifs et la plupart des choix.
Néanmoins, on l’a vu, il est marqué par quelques nouveaux éléments :
- L’apparition des questions environnementales, qui poussent à mieux équilibrer les investissements entre infrastructures routières et transports collectifs
- L’apparition de la volonté de conserver le patrimoine historique, ce qui limite l’ambition des réaménagements du centre et conduit à revoir la prédominance explicite du centre sur les villes nouvelles
- Le tassement de la croissance de la région et les premiers résultats des aménagements précédents, qui conduisent le SDAURIF à repositionner son attention sur l’amélioration qualitative des zones urbanisées existantes, et sur la réutilisation d’infrastructures anciennes.
Si le SDAURP ressemblait à un schéma très théorique, qui dressait progressivement, dans un exposé argumenté,  le portrait d’une agglomération fantasmée, le SDAURIF se confronte lui à la réalité et semble vraiment dessiner la région Ile de France telle qu’elle est aujourd’hui.

Bibliographie

Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région d’Ile-de-France, Paris, 1965 (http://www.ile-de-france.equipement.gou … brique=279)

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La suite de la saga de l'aménagement parisien très prochainement !

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