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Un redécoupage institutionnel : quels enjeux ?

Par MyNight (BF), le 04/03/2009 à 13:18

A l'heure actuelle, il est une problématique qui reste ancrée dans l'air du temps, consistant à se demander si le mille-feuilles institutionnel présidant à la gestion du territoire français est toujours adapté à sa mission première.
Ainsi, que ce soit pour les régions de France (commission Balladur) ou pour le Grand Paris (Propositions Delanoë, Huchon, Blanc, Balladur, Pécresse, étude de dix architectes renommés...), ce questionnement agite bel et bien le débat public de manière récurrente depuis de nombreuses années. Pour s'en convaincre, il suffit de se pencher sur les lois Clémentel de 1919 sur les régions, les régions-programmes de 1955-1956 + décret du 2 juin 1960, la loi du 5 juillet 1972 sur la création des conseils régionaux, la loi Deferre sur la décentralisation de 1982, la LOADT Pasqua de 1995, la loi Voynet de 1999 ainsi que sur la loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale de Chevènement en 1999...

Cependant, à l'heure actuelle, l'acuité d'un redécoupage se fait jour de manière pressante, dans un vaste mouvement global de modernisation de l'Etat. Il est vrai que le modèle de gouvernance à la française, à travers un mille-feuilles institutionnel d'une grande complexité, a pour défaut fondamental de diluer les responsabilités et de rendre illisibles pour le commun des mortels les périmètres de compétences des uns et des autres. Arrondissement, canton, commune, communauté de communes ou pays, département, région, Etat (sous une multitude de tutelles), le territoire apparaît dans une certaine mesure comme étant morcelé non sur son aire géographique, mais sur une aire plus subtile, verticale, de compétences empilées les unes sur les autres.

Face à cet état de fait, l'actuelle commission Balladur tente de proposer une simplification de ces strates, de manière à rendre plus efficace l'action publique, ce qui entraîne aussi - mais est-ce un épiphénomène ?... - des économies d'échelle plus qu'attendues dans un contexte fort difficile.

Pour autant, si sur PSS nous réfléchissons depuis fort longtemps à cette problématique, il ne semble pas inutile au moins de proposer une rapide remise à plat des enjeux sous-tendus par un redécoupage institutionnel qui, évidemment, rejaillira de premier chef sur le territoire, et donc, par conséquent, sur chacun des habitants le constituant.

I - Une photographie de l'existant

Bouger les "frontières" institutionnelles sans perdre de vue le territoire apparaît, à la lumière de quelques cartes, un pré-requis fondamental qui pour autant n'est pas si souvent que cela évoqué...

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Le polycentrisme maillé est l'un des enjeux majeurs ayant présidé à l'aménagement territorial des années 60 à 2000. Le principe était de relier entre eux les pôles urbains de manière à ce que chacun d'entre eux équilibre fonctionnellement la totalité du territoire français. On peut le constater, chacune des régions se définit également par ses interrelations avec celles qui l'entourent, via les pôles urbains.

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Depuis les années 80, la France s'urbanise, et des pôles majeurs se font jour, au moins dans leur poids démographique, mais aussi...

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...dans leur puissance économique, culturelle, logistique (rôle d'échange). Il reste que cela met en relief certaines inégalités territoriales, les pôles urbains majeurs ayant propension à concentrer les ressources au détriment des autres aires territoriales.

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Pour lutter contre l'hypercentralisation parisienne, la DATAR propose en 1963 la création de 8 métropoles dites d'équilibre, dans le cadre du 5ème plan. 8 autres seront créées dans les années 70, Grenoble et Saint-Etienne rejoignant Lyon dans le même temps. Ce concept sera abandonné en 1982 (loi Deferre). On constate cependant une très forte évolution démographique dans ces pôles spécifiques.

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Le polycentrisme, doctrine centrale dans l'aménagement de la France, reste donc un modèle fondamental, mettant également en relief la notion d'"hinterland", c'est-à-dire d'arrière-pays polarisés par des métropoles plus puissantes qui structurent ces aires d'un point de vue territorial, outre les strates institutionnelles.

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Cette polarisation de plus en plus urbaine montre bien la manière dont s'articule désormais le territoire français, au fur et à mesure ; les campagnes changent de fonction, ne sont plus un habitat fondamental comme dans les années 60, mais deviennent des zones périurbaines et des hinterlander. Ceci pose également de nouveaux problèmes d'aménagement et de péréquation des services sur toutes les aires territoriales, accentuant certains déséquilibres socioéconomiques. De la même manière, le problème des banlieues des grands pôles urbains devient de plus en plus prégnant.

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Car les aires urbaines se développent, tandis que les campagnes se vident non seulement de leurs habitants, mais aussi de leurs services et de leurs emplois. Mécaniquement, cela entraîne également une redistribution fondamentale du foncier et des recettes territoriales (taxes d'habitation ou professionnelle notamment)...

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Dès lors, la fameuse 'diagonale du vide', du nord-est au sud-ouest, se creuse, tandis que différentes polarités s'accentuent.

Or, ces polarités ne correspondent plus au découpage institutionnel de la France actuelle. C'est cet enjeu fondamental et fort qui définit l'importance stratégique d'un nouveau redécoupage institutionnel...

(Cartographie Sénat / INSEE / DATAR)

II - Un enjeu fondamental de l'aménagement : l'adéquation entre l'institutionnel et le territorial

La question toujours rémanente ou récurrente - et sans réponse vraiment claire à l'heure actuelle - entraînée par un redécoupage institutionnel est donc la suivante : si on modifie les différents périmètres institutionnels et leurs prérogatives, voire si on restructure les strates, quelles perspectives territoriales cela entraîne-t-il, dans quel but de développement et d'aménagement à court, moyen et long terme ?

Quelle politique d'aménagement engager pour atteindre quels objectifs urbains, ruraux, sociaux et économiques ?

L'aménagement du territoire n'est-il pas au service d'un modèle politique ? Lequel, en l'occurrence ?...

Avant de prendre des ciseaux et de suivre les pointillés, peut-être faut-il avant tout se demander si le futur redécoupage optimisera... quoi, pour quoi, pour qui, quand, selon quelles modalités ?
Toute autre considération n'est-elle pas que littérature ou pire, communication ?...

Aucune mise à plat, constat ou étude approfondie n'ont été dernièrement diffusés, permettant de penser qu'à partir de ces constats, des refontes x, y ou z s'imposent. Il existe des synthèses disponibles sur le site du Sénat, mais elles partent d'une image statistique du monde, faute de mieux, et apparaissent d'un point de vue méthodologique mêler différentes thématiques qui lissent la complexité du réel. Pire encore, devant cette complexité, peu ou pas d'études sectorielles approfondies  ne semblent avoir été dressées qui auraient dû appeler à une synthèse permettant, dans une refonte des modalités de l'Etat, de redéfinir les priorités pour l'aménagement territorial et donc, en définitive, pour l'habitant et,  au bout du compte, les strates et les frontières institutionnelles.

Car en fin de compte, n'est-ce pas une problématique de projet de vie et de développement à moyen et long terme qui est sous-tendue par ce "redécoupage" ? N'est-ce pas, tout simplement et dans toute la complexité que l'exercice impose, un projet social, économique, global, une vision du monde donc qui doivent être défendus pour au moins les 30 ans à venir ?

Traiter de ce sujet vite pour appeler ensuite à différents référendums laissant aux habitants une libre expression binaire (oui/non) sur ce sujet aussi complexe, aussi ramifié dans ses enjeux, apparaît sinon dangereux, du moins maladroit. On redécoupe, soit. Mais dans quel projet, pour créer quel monde, quelle société, pour faciliter quelles fonctions économiques, sociales, pour créer quelles modalités de vie, pour qui, dans quels intérêts généraux, dans quels intérêts particuliers ?

Toute réforme institutionnelle rejaillissant sur le territoire à moyen et long terme, n'est-ce pas là le chaînon manquant de toute prise de décision éclairée ?... En la matière, il semble que toute décision trop hâtive puisse entraîner des répercussions qui échapperont et au décisionnaire, et à l'habitant.

III - Les dangers d'une réforme pour la réforme et la nécessité d'une synthèse éclairant toute sage prise de décision

Ces questions fondamentales sont très souvent absentes du débat. En aménagement, il est difficile de croire à la réforme pour la réforme, à l'exercice de style institutionnel portant à penser que les déficits (lesquels précisément ?...) du monde actuel seront résolus par un changement de carte.

N'est-il pas souhaitable de connaître avant tout en profondeur le projet de société, de vie et d'aménagement qui amène à ce redécoupage proposé par la commission Balladur, et de comprendre en quoi le plus d'arbitraire possible en est banni, de manière à analyser, si cela est possible, en quoi l'adéquation entre l'institutionnel et le territorial actuel sera enfin respectée, convoquant une synthèse entre les besoins du collectif et ceux de l'habitant, et pour tout de suite, et pour les moyen et long termes ?

Tant que cette réponse ne sera pas claire, tant qu'un projet fondamental ne sera pas fixé, il est à attendre que chacun ait une image de redécoupage correspondant à ses propres intérêts particuliers, alors que la territorialité devrait justement se borner à offrir à chacun, et donc à la collectivité, les mêmes services, les mêmes aménagements, les mêmes droits et devoirs sur toute la surface du pays, même si ce concept doit être évidemment pondéré suivant les particularités et les contextes locaux. C'est là autant la base de la citoyenneté que de la péréquation.

On remarquera que les redécoupages institutionnels proposés semblent pour l'heure avant tout conceptuels, et donc doctrinaires (dans le sens peut-être noble du terme, peut-être pas), mais qu'ils ne sont pas nécessairement issus d'une synthèse sectorielle, géographique, morphologique, culturelle, historique, économique, sociale des réalités complexes du territoire. L'analyse est juridique, à la rigueur, et donc en autarcie, tournée vers elle-même, elle est "ésotérique" et se nourrit de ses propres besoins, mais est-elle territoriale, ancrée dans ce réel pragmatique qui constitue l'habitant et le citoyen ?

Il est certes bon que l'institution se tourne parfois sur elle-même pour créer un bilan, à moment t, de son action, un bilan de son efficacité et de ses insuffisances (où est-il disponible d'ailleurs, ce bilan synthétique d'auto-évaluation correspondant à là tout de suite ?...) Il est bon qu'elle s'adapte au réel qui reste mouvant, qu'elle se modernise dans le sens qu'elle s'adapte justement à ce réel mouvant - y compris en respectant les révolutions de gestion appelées par la LOLF - mais dans cette optique, s'est-elle donnée les moyens de son ambition ? S'est-elle durablement auto-évaluée pour comprendre les dysfonctionnements de son action et ses inadéquations aux besoins du réel actuel ? S'est-elle mise en regard de ses territoires ?

Briser les échelons institutionnels de proximité d'une manière purement idéologique, par exemple, n'est-ce pas un immense risque non calculé si on n'en a pas calibré les effets sur des bases méthodologiques efficaces ? Redécouper les strates dans un seul but de simplification et d'économies d'échelles, sans en prévoir les répercutions ne serait-ce qu'à l'échelle sociale, n'est-ce pas imposer une action ponctuelle sans en mesurer les résultats à moyen et long terme ?

Sans ces prérequis méthodologiques, peut-on penser que l'institution puisse être réformée de manière arbitraire, juste parce qu'il faut faire vite selon une ponctuelle idéologie médiatiquement avantageuse, sans prendre en compte tous ces paramètres, et surtout sans, encore une fois, respecter un fil rouge, un projet profond de l'aménagement pour les 30 ans à venir ?...

Je ne crois guère en ce "pragmatisme" flatteur dans un monde d'immédiateté qui consiste à tester grandeur nature des réformes tout en les promulguant, puis en les ajustant au fur et à mesure par étapes législatives successives via décrets et corrections, afin d'arriver enfin à un compromis qui ressemble trop souvent à une inapplicable usine à gaz qui est tellement lisse qu'elle ne contente personne et qui amène à penser que finalement, c'était mieux "avant". Dans une démocratie représentative, c'est un projet que doivent défendre les élus, et c'est à cet échelon qu'ils sont mandatés pour mettre en oeuvre ce projet. Visiblement, c'est là le sous-bassement méthodologique et théorique qu'il manque actuellement cruellement pour redécouper, d'un main sûre, l'institution actuelle, de manière à lui rendre son adéquation avec le territoire d'aujourd'hui et de demain qui manifestement pour l'heure semble défaillante dans certains contextes locaux et géographiques (voir l'état socio-économique et urbain du 93 par exemple, il y a des kyrielles d'autres exemples).

Un projet politique et social affirmé et clairement délimité : la seule clef d'aménagement via des institutions sagement réformées en adéquation avec la réalité territoriale

Sans projet politique (au sens large et étymologique) précis, il n'y a ni institution, ni aménagement qui vaille. Le territoire ne pourra continuer d'évoluer que comme actuellement, de manière inertielle, mécanique et endémique, quasi-darwinienne, creusant les déséquilibres économiques, sociaux, écologiques, et donc par voie de conséquence les inégalités pour les habitants.

Qu'on me comprenne bien, d'ailleurs, je ne prétends pas que le territoire actuel aille à vau-l'eau. Simplement, je prétends que faute de macro-lecture efficace, y compris dans un projet globalement structurant, le territoire ne se développera, outre quelques grands projets ponctuels d'aménagement, qu'à l'échelle d'une mosaïque improbable de micro-territoires. Ceux-ci semblent dépendre de la bonne volonté et de la richesse d'aires très restreintes et imperméables la plupart du temps, sans autre vision globale du monde que celle d'élus plus ou moins visionnaires et attachés à l'intérêt collectif d'une parcelle qui de toute manière dépasse rarement l'échelle régionale. Pour s'en convaincre, il suffit de se pencher sinon sur le Grand Paris tel qu'il existe actuellement (le projet orbital de métro, par exemple) ou du moins sur n'importe quelle unité urbaine à échelle métropolitaine concernant ses liaisons avec son environnement rurbain et périurbain... A l'échelle du pays, la problématique devient quasi fractale...

Qu'est-ce qu'un habitant là tout de suite ? Comment faire une synthèse de cet habitant si multiple qui n'est pas une masse statistique, mais vous et moi ? Qu'était-il il y a dix ans, il y a trente ans ? Que sera-t-il dans dix ans, dans trente ans ?

Le citoyen, ou désormais l'habitant, semble être en droit d'attendre des réponses précises à ce questionnement certes d'allure philosophique, mais surtout fondamental car ancré dans le réel de chacun, et à partir de là, peut-être, d'attendre des propositions de redécoupage enfin issues d'une réflexion aussi rationnelle que prospective, aussi fine que politique, aussi institutionnelle que territoriale.

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SUJETS DISPONIBLES DANS PSS sur cette thématique

--> Un redécoupage territorial français... pour ou contre ?

--> Paris Métropole / le Grand Paris

--> Réunification de la Normandie

--> Région Pays-de-la-Loire : un futur redécoupage ?

--> Pour ou contre la fusion Alsace -Lorraine ?

-->  L'Urbanisation et le Territoire (Etalement urbain)

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